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Méfiez-vous de votre cerveau

Les biais cognitifs sont des erreurs de jugement qui peuvent influencer notre interprétation de la réalité et se trouvent au cœur de certains croyances. Effet Barnum, biais de confirmation, confirmation sociale … Destiné au grand public, Méfiez-vous de votre cerveau décrypte 30 biais cognitifs ou heuristiques courants, grâce au travail de vulgarisation du chercheur en psychologie sociale à l’Université de Fribourg Pascal Wagner-Egger et de l’illustrateur Gilles Bellevaut. Il se caractérise par la clarté de ses explications et par ses nombreux exemples, puisés dans la recherche en psychologie mais également dans le marketing, la politique et les événements récents de l’actualité.

Heuristiques et biais cognitifs

D’après Pascal Wagner-Egger, les heuristiques sont « des modes de raisonnements rapides apportant une réponse simple à des problèmes complexes. » La plupart du temps, nous utilisons effectivement une forme de pensée intuitive. Cette dernière permet de prendre rapidement une décision (par exemple, de fuir à la perception d’un danger) à partir d’un nombre limité d’informations, et se montre moins énergivore que la pensée dite analytique, consciente et délibérative, que nous acquérons par l’apprentissage. Les biais cognitifs en sont, toutefois, le revers de la médaille. Ils peuvent effectivement être vus comme « les inévitables erreurs que les heuristiques nous feraient commettre, par rapport à des raisonnements corrects définis par des théories normatives (logique, calcul des probabilités, mathématiques, etc.) »

Le fruit de l’évolution ?

Ces biais peuvent être acquis socialement, culturellement et/ou avoir une origine évolutive et être, par conséquent, inscrits neurologiquement dans notre cerveau. Cela pourrait être le cas de la paréidolie, « notre tendance perceptive à reconnaître une forme familière (des objets, des animaux, mais le plus souvent, des visages) dans une image floue (paysage, fumée, etc) ». Effectivement, la capacité à reconnaître d’un coup d’œil un visage dans un buisson nous a probablement sauvé la vie pendant des centaines de milliers d’années.

Aujourd’hui, de nombreuses croyances complotistes ou paranormales s’appuient, entre autres, sur des images ou des sons qui mettent en jeu ce phénomène. Comme le racontent les chercheuses russes Anna Kirziuk et Alexandra Arkhipova dans une interview pour Spokus, lors de la Grande Terreur, certains citoyens soviétiques voyaient des symboles cachés par les « ennemis du peuple » (croix gammées, visage de Trotski, etc.) dans les objets les plus anodins (boîtes d’allumettes, motifs hachurés de certaines images, etc.)

Une paréidolie connue, dans laquelle on croit distinguer un visage diabolique dans la fumée dégagée par l’attentat du World Trade Center.

De la politique au marketing

Certains discours politiques, peuvent – de manière plus ou moins consciente – mobiliser les biais cognitifs en tant que stratégies rhétoriques. C’est le cas du biais de pessimisme, qui nous encourage à idéaliser le passé par rapport au présent. Il serait lié au fait que notre cerveau conserve, à long terme, plus facilement les souvenirs heureux. « Ainsi, la nostalgie de notre passé conduirait à idéaliser cette période de l’histoire, par une sorte d’effet de halo », explique Pascal Wagner-Egger. On retrouve par exemple cette idéalisation, voire cette réécriture du passé, dans les discours de Donald Trump – et son Make America Great Again – ou encore d’Eric Zemmour.

Le biais de cadrage, dans lequel la façon de présenter une information d’une certaine façon va modifier la représentation de cette information, a été également été mobilisé par l’État russe dans sa qualification de la guerre en Ukraine d' »opération spéciale » ou par le gouvernement américain lors de la première guerre du Golfe, parlant de « frappes chirurgicales » plutôt que de bombardements.

La valeur du meuble en kit

Dans le domaine du marketing, les industriels s’appuient également sur certaines heuristiques, comme l’heuristique de l’effort (ou « effet Ikea ») qui nous conduit à « aimer davantage ce que nous avons nous-mêmes fabriqués ». Comme l’explique Pascal Wagner-Egger :

Dans les années 1950, les industriels ont commencé à commercialiser les premiers gâteaux en sachet[. Ils] ont remarqué que les client.e.s ne semblaient pas trop apprécier cette nouveauté, n’ayant aucun rôle à jouer dans la préparation. Les industriels ont alors tout simplement modifié la recette en demandant aux client.e.s d’ajouter un œuf. Cela a fait toute la différence et les gâteaux en sachet se sont bien mieux vendus !

Des études en psychologie sociale ont, par ailleurs, montré que lorsqu’on demande à des personnes d’évaluer le prix d’un meuble, elles accordent paradoxalement plus de valeur à un meuble à monter soi-même qu’à un meuble déjà monté.

L‘effet de contraste, dans lequel un deuxième objet est perçu de façon différente lorsqu’il est précédé d’un premier objet, est quant à lui beaucoup utilisé dans le domaine de la vente :

Cialdini (2004) donne les exemples des vendeurs immobiliers, dont certains lui avaient soufflé leur technique pour augmenter leurs chances de vente : faire visiter plusieurs maisons très chères ou en mauvais état, pour ensuite présenter la maison prévue, en proposant un prix un peu plus élevé, mais qui pourra, par contraste, être accepté.

Un guide d’autodéfense intellectuelle pour contrer les manipulations

Méfiez-vous de votre cerveau permet à tout.e lectrice ou lecteur d’être plus vigilant.e sur les éventuels biais ou manipulations souvent à l’œuvre dans les discours argumentatifs, qu’ils proviennent de politiques, de publicitaires mais aussi de croyant.e.s ou de promoteurs.rices de certaines pseudo-sciences. Chaque heuristique ou biais exposé dans l’ouvrage donne ainsi lieu à une courte définition, enrichie d’exemples, mais aussi de référence aux études ayant contribué à le mettre au jour. Le tout, dans un format synthétique et illustré des dessins de Gilles Bellevaut, qui donnent corps aux différents biais cognitifs grâce à de courts dialogues ou situations, souvent absurdes, et inspirés de la vie quotidienne, de la politique, etc.

Quelques réponses aux critiques adressées à la théorie des biais cognitifs

L’ouvrage déjoue, enfin, certaines des critiques parfois adressées à l’étude des biais cognitifs, notamment dans la conclusion. Selon certains détracteurs, s’intéresser au rôle des biais cognitifs dans l’adhésion aux croyances complotistes éluderait, par exemple, d’autres formes d’explications, et privilégierait une approche trop centrée sur l’individu. Or, Pascal Wagner-Egger s’intéresse aux causes psychologiques du complotisme (dont la présence de certains biais cognitifs), mais aussi aux causes sociopolitiques et communicationnelles, qu’il essaye d’articuler dans ses travaux (on peut avoir un aperçu plus complet de cette articulation dans Psychologie des croyances aux théories du complot aux PUG).

La lecture de Méfiez-vous de votre cerveau permet, d’ailleurs, de comprendre que les biais cognitifs en eux-mêmes ne sont pas que d’ordre psychologique, mais peuvent également être renforcés (voire trouver leur origine) dans un contexte social, politique ou culturel particulier. C’est le cas de l’erreur fondamentale d’attribution, qui nous conduit à privilégier les explications internes et individuelles aux comportements d’un individu, au détriment de facteurs externes ; biais particulièrement renforcé dans nos sociétés libérales.

Références de l’ouvrage :

Bellevaut, Gilles, et Pascal Wagner-Egger. 2022. Méfiez-vous de votre cerveau : 30 biais cognitifs décrits et expliqués pour moins se tromper et mieux raisonner. Quanto.

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