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Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique

Dirigé par Eric Delamotte, cet ouvrage rassemble 9 dialogues de chercheurs et de chercheuses autour des éducations aux médias, à l’information et au numérique. Ils illustrent les rapides mutations connues par l’EMI depuis un demi-siècle : technologiques, sociales, institutionnelles ou intellectuelles. 

Comprendre la naissance et l’évolution de l’EMI

Les éducations aux médias, à l’information et au numérique viennent de cultures différentes : media studies, sciences de l’information et de la communication, informatique, etc. Apparues il y a environ un demi-siècle, elles naissent, se développent et s’enrichissent avec l’apparition des médias de masse (presse, radio, cinéma, télévision), la démocratisation d’Internet et l’émergence des réseaux sociaux, mais également la numérisation du patrimoine culturel.

Ces bouleversements technologiques et sociaux impactent la manière dont nous recevons et produisons l’information, dont nous construisons et évaluons les savoirs. Ils transforment également l’accès à la culture, ce que soulignent Annette Béguin-Verbrugge et Susan Kovacs avec l’exemple des manuscrits lisibles depuis Gallica.

Ils suscitent dans la société autant d’espoirs que d’inquiétudes et, progressivement, le besoin de former les citoyens à une lecture et à usage critique des médias, de l’information et du numérique, ainsi que des écosystèmes socio-économiques dans lesquels ils s’insèrent.

Delamotte, Éric, éd. 2022. Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique : Points de vue et dialogues. Papiers. Villeurbanne: Presses de l’enssib.

Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique : Points de vue et dialogues permet de comprendre ces différents processus.

Marlène Loicq et Jacques Piette observent, par exemple, qu’à chaque apparition de nouveaux médias, la même question se pose : propagent-ils des idéologies ? Servent-ils la consommation ou asservissent-ils au divertissement ? Dans les années 1980, cette inquiétude se double d’une prise de conscience : les institutions traditionnelles que sont l’école et la famille ne sont plus les seuls vecteurs de culture et de connaissance ; les médias jouant également ce rôle. Comme le soulignent Thierry De Smedt et Pierre Fastrez dans l’introduction à leur contribution, les médias ont, à ce titre, un rôle émancipateur dans nos sociétés démocratiques, à condition d’avoir un recul critique sur leur fonctionnement :

L’accès aux médias, en émission, comme en réception est une condition première de la libération des opprimés. Conquérir le pouvoir de repérer dans les médias dominants les mécanismes par lesquels s’exercent sur eux la domination dont ils sont victimes est, pour eux, l’instrument de l’émancipation.

Thierry De Smedt et Pierre Fastrez. « Un demi-siècle d’éducation aux médias, de l’homme imaginaire à la gouvernementalité algorithmique »

En écho à ces questionnements, l’histoire de l’éducation aux médias est marquée par le passage d’une éducation contre les médias – où il s’agit de prémunir les jeunes de l’influence des médias – à une éducation par les médias. Cette dernière encourage à se saisir des « opportunités pédagogiques » créées par les médias en favorisant, par exemple, le développement de la télévision éducative ou la production de médias par les élèves. La transition de l’un à l’autre permet à l’éducation aux médias d’émerger, centrée sur le développement, chez l’apprenant, d’une posture active, réflexive et critique face aux médias, expliquent Marlène Loicq et Jacques Piette. 

Médias, documents, … Des objets d’étude en constante mutation

Les éducations aux médias, à l’information et au numérique ont également ceci de particulier que leurs objets d’étude sont à la fois complexes et en constante mutation.

Ainsi, la lecture de la partie 2 de l’ouvrage permet de comprendre que les concepts qui fondent les sciences de l’information et de la communication, loin d’être figés, évoluent avec les révolutions technologiques en cours.

« Longtemps le document a été analysé comme un objet éditorialisé, permettant le dialogue intemporel entre un auteur et des lecteurs récepteurs », observe Vincent Liquète. Or avec l’essor et la transition numérique dans les organisations, ces éléments de définition ont changé. Ils prennent, désormais, en compte « les modes de réécriture des contenus », dont les wiki et autres documents collaboratifs sont un parfait exemple.

Par ailleurs, « l’essor d’Internet s’est accompagné d’une transformation sensible des interfaces. L’image devenait omniprésente, voire première, au point qu’il était nécessaire d’élargir les notions de texte et de discours et de les ouvrir à la relation texte-image. », explique Annette Béghuin-Verbrugge.

Dans le dernier chapitre de la partie dédiée à l’éducation à l’information, Jean-Michel Salaün et Alexandre Serres débattent, quant à eux, de l’émergence d’un « nouvel ordre documentaire » à l’ère du Web et des réseaux sociaux. Cet ordre serait, entre autres, caractérisé par des mécanismes de validation de l’information basés sur la popularité et le consensus.

Un ouvrage qui montre la science en train de se faire

La forme choisie par Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique est particulièrement adaptée aux champs de l’EMI, en cours de développement, de conceptualisation et d’institutionnalisation. Pour exposer cette science en train de se faire, l’ouvrage adopte, effectivement, une forme non-académique qui prend le risque de dérouter la lectrice ou le lecteur à la recherche d’une synthèse homogène sur le sujet, comme le rappelle la note éditoriale d’Eric Delamotte.

Chaque contribution réunit deux figures des éducations aux médias, à l’information et au numérique, qui engagent un dialogue à partir d’un sujet précis. Les formes sont variées : article académique, entretiens, portraits croisés suivi d’une confrontation, commentaires, etc. Chaque auteur-e est, par ailleurs, présenté au moyen d’une notice biographique. Cet espace de liberté leur permet, en tout cas, de retracer leurs parcours et l’évolution de leurs travaux de recherche, intégrés dans le contexte global du développement de l’EMI dans l’espace francophone. Il leur donne par ailleurs l’occasion de confronter leurs idées et de proposer des perspectives d’évolution des éducations aux médias, à l’information et au numérique, en termes de pédagogie, de référentiel de compétences, etc.

Bien que l’ouvrage ne soit ni un manuel, ni une encyclopédie, Recherches francophones sur les éducations aux médias, à l’information et au numérique permet de saisir, au fil de l’eau, quelques-uns des concepts clés de l’EMI. Thierry De Smedt et Pierre Fastrez proposent, en particulier, un éclaircissement bienvenu (et passionnant !) de la notion de média, abondamment utilisée dans notre société sans être véritablement comprise. François Sass et Étienne Vandeput émaillent, quant à eux, leur chapitre de parenthèses théoriques définissant, notamment, les différents types de programmation, et autres notions essentielles de l’informatique. Ces notions, et les idées présentées par les auteur-e-s, peuvent être approfondies au moyen des bibliographies qui enrichissent chaque contribution à l’ouvrage. Malgré ces détails, l’ouvrage reste toutefois à conseiller à un lectorat déjà familier des éducations aux médias, à l’information ou au numérique, et qui lira avec intérêt ces textes dont la spontanéité, la réflexivité et l’esprit de dialogue permettent de saisir un certain état de la recherche en EMI.

Sommaire à découvrir sur le site de l’ENSSIB.

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