Une babysitter découvre une homme déguisé en clown caché dans la maison des enfants qu’elle a en garde. Originaire des USA, la légende de la statue de clown circule en France depuis le milieu des années 2000.
Cette histoire m’a été racontée par une amie scout. Une de ses amies était baby-sitter pendant l’été du côté de Colmar. Un soir, alors que tout se passait bien jusque-là, le gamin qu’elle gardait s’est mis à pleurer. Elle a allumé le couloir, est allée le réconforter et le gamin s’est rendormi. Les pleurs ont recommencé plusieurs fois, et la baby-sitter a dû à chaque fois s’occuper de lui. Dans la chambre du gamin, elle a bugué en voyant une statue de clown. Elle s’est décidé à appeler les parents, en leur disant : « Je crois qu’il a peur du clown ! ». Surpris, les parents ont répondu : « Mais … On n’a pas de clown ! » Plus tard, on a su que le clown en question était un type échappé de Rouffach [nda : où se trouve un hôpital psychiatrique].
Raconté par un Strasbourgeois de 27 ans, originaire du Haut-Rhin, en 2019.
Les différentes versions de la légende
La légende de la statue de clown circule en France au moins depuis 2005. Dans une version publiée sur un Skyblog en 2013, une adolescente « fait du baby-sitting pour une famille à Newport Beach, en Californie. La famille est riche et possède une très grande maison ». Avant de partir diner, le père « dit à la gardienne qu’une fois que les enfants sont au lit, elle devra aller dans une salle spécifique » pour regarder la télévision. Il ne tient effectivement pas à la voir traîner dans la maison.
Installée devant le poste, la babysitter est perturbée « par une statue de clown dans le coin de la pièce. Elle essaie de l’ignorer aussi longtemps que possible, mais elle commence à avoir peur ». Elle appelle alors le père pour demander si elle peut changer de pièce. Interpelé, l’homme lui demande de réveiller les enfants et d’appeler immédiatement la police ! Avant de préciser à la jeune fille : « Nous n’avons pas de statue de clown »…
Il lui explique « que les enfants se plaignent d’un clown qui les regardent quand ils dorment. Lui et sa femme ont apaisé les choses, en supposant qu’ils avaient fait des cauchemars ». La police appréhende le clown, « qui s’avère être un nain. Un nain Clown! Je suppose qu’il était une personne sans abri habillé comme un clown, qui est entré dans la maison et il y avait vécu pendant plusieurs semaines ».
Une légende urbaine d’origine américaine
Dans ces deux récits le clown est un marginal qui trouve refuge dans la maison, et qui se révèle plus inquiétant que réellement dangereux … Les versions de cette légende urbaine les plus répandues sur Internet mettent cependant en scène un pédophile caché dans la chambre des enfants ou un psychopathe figé en clown dans la pièce où la baby-sitter regarde la télévision.
Quelles que soient les versions, le clown n’a pas le temps d’atteindre ses victimes. Sa véritable identité est effectivement révélée après sa fuite ou sa capture. Certaines variantes (plutôt rares) de la version de la statue de clown mettant en scène un pédophile laissent toutefois entendre que le clown aurait tenté d’agresser les enfants.
Nous avons retrouvé cette légende horrifique sur des sites de creepypastas. Elle a même inspiré à Tripoda une trollpasta (sous-genre parodique des creepypastas) qui se termine de la façon suivante :
« Appelez la police, sortez de la maison et attendez dehors avec le clown, nous n’avons jamais eu d’enfant !! » (source : Creepypasta From The Crypt, 2016)
Cette présence traduit une certaine popularité de la légende, qui est toutefois plus connue aux Etats-Unis, son (très probable) pays d’origine. Certaines versions publiées sur des Skyblogs français sont d’ailleurs de simples traductions de versions américaines. Le site de référence Snopes commence, en outre, à collecter de premières versions de la légende urbaine en 2004. On peut, enfin, ajouter que les légendes urbaines américaines se différencient par leur présence du paranormal et de l’horreur, plus importante que dans l’imaginaire français.
Dans l’une d’elle, la statue de clown est un nain schizophrène, figé dans un état catatonique. Il serait resté dans la maison une semaine entière. Mais, comme en France, les récits semblent se concentrer en deux versions principales mettant en scène un psychopathe ou un pédophile. C’est le cas de cette version diffusée sous forme de fake news en 2015.
Rumeurs de « phantom clowns »
Les clowns inquiétants ou agressifs sont devenus des personnages récurrents des légendes urbaines. Les rumeurs de « Phantom Clowns » en particulier ont agité certaines villes américaines dans les années 1980 et 1990. Elles mettaient en scène des clowns qui tentaient d’enlever des enfants à l’intérieur de camionnettes. « La plupart de ces rumeurs circulaient auprès de jeunes enfants, certains d’entre-eux prétendaient avoir vu les camionnettes circuler aux abords des écoles ou roulant avec des victimes à leur bord » rapporte le folkloriste Jan Harold Brunvand dans son encyclopédie des légendes urbaines (2001). La présence des « phantom clowns » n’a toutefois jamais pu être prouvée, et aucun adulte n’a pu observer ces mystérieux individus (Bartholomew & Radford, 2012).
Ce phénomène rappelle les rumeurs de camionnettes blanches agitant la France depuis les années 1990, qu’elles mettent en scène des criminels sexuels ou des Roms voleurs d’organes. Comment ne pas penser également aux « clowns agressifs » de 2014, quand la rumeur s’était mêlée aux actes de quelques individus déguisés, profitant du contexte de panique pour effrayer les passants ?
Initialement destinés aux adultes, les spectacles de clowns sont devenus populaires auprès des enfants dans les années 1960 d’après la docteure en sciences de l’information Aurore Van de Winkel (2017). Dans le sillage de Bozo le Clown, la chaîne de restauration McDonald’s crée ainsi la mascotte Ronald MacDonald en 1963 afin de fidéliser sa jeune clientèle. Aujourd’hui encore, les clowns sont attachés à l’univers enfantin et restent un personnage populaire dans les albums jeunesse. Ils se déclinent également en poupées ou jouets. Pourtant, leur côté effrayant semble les rattraper. Dans les années 1980 est même apparu dans le vocabulaire la coulrophobie pour désigner la peur des clowns. C’est que le clown est « terrifiant avec sa dualité : son apparence joviale accentuée par un habillement et un maquillage ridicule cachant peut-être une âme noire, sadique et cruelle » observe la chercheuse belge. D’où peut venir ce changement culturel ?
Les clowns menaçants, un siècle d’histoire
Le personnage de Grippe-Sou dans Ça, de Stephen King (1986), et son adaptation en téléfilm en 1990, mais aussi les crimes de John Wayne Gacy, surnommé « le tueur clown » (1978) ont, sans aucun doute, participé à l’enracinement du motif du clown menaçant dans l’imaginaire d’après le sociologue Jean-Bruno Renard. Mais, comme le rappelle Patrick Peccatte dans un article sur le sujet, ce motif est aussi le fruit d’un siècle d’évolution historique :
Les premières figurations de clowns menaçants remontent semble-t-il à la fin du dix-neuvième siècle. Le plus connu d’entre eux apparaît dans Pagliacci [Paillasse en français], un opéra de Ruggero Leoncavallo créé en 1892 à Milan. C’est un drame qui se déroule au sein d’une troupe de comédiens. Canio et Nedda sont mariés et Nedda entretient une liaison avec Silvio. Lors d’une représentation, Canio joue un clown. Confondant l’action de la pièce et la vie réelle, il tue avec un couteau sa femme et son amant sous les applaudissements des spectateurs qui ne comprennent pas l’enchevêtrement dramatique entre le jeu de scène et la réalité.
Dans les années 20, The Crimson Clown est quant à lui un personnage de pulp ambigu, brigand dissimulé derrière un masque de clown, « à la fois détrousseur des riches et bienfaiteur des pauvres ». A la même période, « des clowns armés et agressifs font leur apparition dans les pulp magazines. Ce sont alors de véritables meurtriers dont la figure est peut-être inspirée par celle du héros imaginé par McCulley délesté de son caractère chevaleresque ».
Le Joker de Batman marque un tournant dans les années 1940. Il ne porte pas de masque, son visage et ses cheveux étant naturellement déformés. C’est un « individu qui est « par essence » clownesque et mauvais à la fois ».
Dans la BD, les clowns commencent dans la deuxième moitié du XXe siècle à ressembler à des personnages d’horreur : « les dents démesurées et agressives deviennent un élément essentiel de son faciès ».
Les clowns apparaissent, sous leur forme maléfique, au cinéma. Leur avatar le plus connu est Grippe-Sou que l’on retrouve dans les deux adaptations du roman Ça de Stephen King. Grippe-Sou (Pennywise en version originale) est effectivement une créature métamorphe, qui prend habituellement l’apparence d’un clown aux dents pointues, mais qui peut aussi incarner nos peurs les plus profondes.
Toutes les caractéristiques d’une légende urbaine
Le personnage de la statue de clown n’est toutefois pas un clown « par essence » comme le Joker, ou la créature surnaturelle qu’est Grippe-Sou, mais un individu déguisé en clown. A ce titre, il correspond au stéréotype de l’agresseur des légendes urbaines, qui est presque toujours un homme et/ou un(e) marginal(e) : étranger, Rom, hippie, junkie, SDF, psychotique… etc, catégories de population dont il faudrait se méfier, suivant la morale de ces récits. La babysitter se retrouve quant à elle dans de nombreuses histoires d’horreur.
La plus connue des légendes mettant en scène une babysitter est « The babysitter and the man upstairs » où un anonyme appelle à de nombreuses reprises une jeune gardienne pour lui demander si elle est allée voir les enfants, couchés à la chambre de l’étage. Affolée, la babysitter appelle la police qui parvient à retracer l’appel ; il provient directement de l’étage où sont situés les enfants ! La jeune gardienne quitte immédiatement les lieux. Après intervention de la police, l’auteur de l’appel est capturé… Et se révèle être couvert du sang des enfants qu’il vient d’assassiner.
La légende de la statue de clown peut être vue comme une réactualisation des légendes (plus anciennes) mettant en scène des babysitter dans des intrigues effrayantes, avec un personnage aujourd’hui récurrent dans l’imaginaire horrifique : le clown menaçant. Cette présence ajoutant un contraste extrême entre une figure originellement associée à l’enfance et les intentions prêtées à l’homme déguisé … Elle fait tout le « sel » de ce récit qu’on aime se raconter à l’approche de minuit pour partager quelques frissons !
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Image à la Une : Clown (source PXHERE).
Sources
« Did a Babysitter Discover a “Clown Doll” in a Child’s Room Was a Real Person? » Snopes.Com. Consulté 14 octobre 2019 (https://www.snopes.com/fact-check/rapist-clown-costume/).
« Home Intruder Poses as Clown Statue ». Snopes.Com. Consulté 14 octobre 2019 (https://www.snopes.com/fact-check/statue-of-limitations-2/).
« Pourquoi a-t-on peur des clowns ? » Les Inrocks. Consulté 14 octobre 2019 (https://www.lesinrocks.com/2014/10/25/actualite/actualite/t-on-peur-clowns/).
David Emery. « The Babysitter and the Man Upstairs ». LiveAbout. Consulté 14 octobre 2019 (https://www.liveabout.com/the-babysitter-and-the-man-upstairs-3299474).
David Emery. « The Creepy Urban Legend About the Clown Statue ». LiveAbout. Consulté 14 octobre 2019 (https://www.liveabout.com/the-clown-statue-3299483).
« Les “clowns agressifs” de 2014 ». Spokus. Consulté 14 octobre 2019 (https://spokus.eu/clowns-agressifs-2014/).
« Les kidnappeurs en camionnette blanche ». Spokus. Consulté 14 octobre 2019 (https://spokus.eu/kidnappeurs-camionnette-blanche/).
Patrick Peccatte. « Les origines des clowns agressifs dans la culture populaire ». Déjà Vu. Consulté 14 octobre 2019 (https://dejavu.hypotheses.org/2010).
Tripoda. 2016. « Creepypasta from the Crypt: Le clown ». Creepypasta from the Crypt. Consulté 14 octobre 2019 (http://creepypastafromthecrypt.blogspot.com/2016/02/le-clown.html).
Ouvrages
« Phantom Clowns » dans Jan Harold Brunvand. 2002. Encyclopedia of Urban Legends. Reprint. New York; London: W. W. Norton & Co.
« Les clowns agressifs » dans Aurore Van de Winkel. 2017. Les légendes urbaines de Belgique. Waterloo: Avant-Propos.
« Phantom Clowns » dans Robert E. Bartholomew et Benjamin Radford. 2011. The Martians Have Landed!: A History of Media-Driven Panics and Hoaxes. McFarland.
Voir aussi
« La babysitter cannibale » dans Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard. 2002. Légendes urbaines : Rumeurs d’aujourd’hui. Paris: Payot.
4 réponses sur « La statue de clown »
[…] Cette histoire est apparue au début des années 2000 en France et vient des États-Unis, où on apprécie beaucoup les légendes horrifiques. Les clowns menaçants sont devenus un personnage récurrent dans la culture populaire, au point qu’il se créé autour d’eux certains phénomènes de panique, alimentés par des rumeurs. Dans les années 1980 et 1990, plusieurs rumeurs de kidnappings opérés à bord de camionnettes par des individus déguisés en clowns ont agité des villes américaines. La présence de ce qu’on a alors appelé les « phantom clowns » n’a, toutefois, jamais pu être observée. En 2014, une panique similaire a agité la France. Des commissariats ont été débordés d’appels et de témoignages de jeunes disant avoir aperçu des clowns armés et agressifs, et le sujet a été relayé par les journaux locaux ou BFM TV. La plupart se sont révélés faux ou difficiles à prouver, sauf pour quelques rares cas où des plaisantins se sont effectivement amusés à effrayer les passants munis de faux poignards, profitant de la situation de panique. Les photos et vidéos partagées sur les réseaux sociaux pour signaler la présence de ces clowns étaient, par ailleurs, souvent récupérées des États-Unis ou d’autres pays. Elles mettaient par exemple en scène le fameux clown de Wasco, un personnage de clown effrayant photographié dans les rues d’une ville californienne pour alimenter un compte Instagram. […]
[…] Cette histoire est apparue au début des années 2000 en France et vient des États-Unis, où on apprécie beaucoup les légendes horrifiques. Les clowns menaçants sont devenus un personnage récurrent dans la culture populaire, au point qu’il se créé autour d’eux certains phénomènes de panique, alimentés par des rumeurs. Dans les années 1980 et 1990, plusieurs rumeurs de kidnappings opérés à bord de camionnettes par des individus déguisés en clowns ont agité des villes américaines. La présence de ce qu’on a alors appelé les « phantom clowns » n’a, toutefois, jamais pu être observée. En 2014, une panique similaire a agité la France. Des commissariats ont été débordés d’appels et de témoignages de jeunes disant avoir aperçu des clowns armés et agressifs, et le sujet a été relayé par les journaux locaux ou BFM TV. La plupart se sont révélés faux ou difficiles à prouver, sauf pour quelques rares cas où des plaisantins se sont effectivement amusés à effrayer les passants munis de faux poignards, profitant de la situation de panique. Les photos et vidéos partagées sur les réseaux sociaux pour signaler la présence de ces clowns étaient, par ailleurs, souvent récupérées des États-Unis ou d’autres pays. Elles mettaient par exemple en scène le fameux clown de Wasco, un personnage de clown effrayant photographié dans les rues d’une ville californienne pour alimenter un compte Instagram. […]
[…] présent dans la culture populaire, mais également dans les légendes urbaines (voir par exemple La statue de clown). « Des individus vont imiter les légendes en les incarnant dans la réalité », sans doute […]
[…] rumors known as “Phantom Clown” (Brunvand, 2002), that spread in the USA during the 1980s and 1990s, are more similar to the […]