Élus et ménages s’organisent contre le déploiement des compteurs Linky, qui devrait toucher tous les foyers français en 2021. Ils craignent, entre autres, la survenue d’un nouveau risque sanitaire. La peur des ondes n’est pas nouvelle ; plus ancienne encore est la peur des nouvelles technologies. L’une et l’autre se matérialisent dans des légendes urbaines bien connues, où les machines tuent parfois leur propriétaire, à coup d’explosion de batterie, ou de lente cuisson. Mais, sur la question des ondes, ces légendes ont-elles leur part de vérité?
Linky, le compteur qui communique par Internet
Poser une matinée pour ouvrir au “gars des compteurs”, se retrouver sans électricité le temps qu’intervienne le technicien… Ces petits malheurs devraient avoir une fin, nous promet Enedis, filiale d’EDF chargée de gérer le réseau d’électricité français. Car avec Linky, le compteur intelligent qui communique par Internet, tout cela pourrait se faire à distance, et instantanément.
Comment ? Grâce au réseau électrique, sur lequel peut-être construit un réseau d’information. Cette technologie, dite communication par Courant porteur en ligne (CPL) est assez ancienne. Au quotidien, elle permet à certaines box internet de communiquer avec un téléviseur. On la retrouve également dans la domotique. Le CPL permettra aux informations stockées par Linky, comme les relevés de consommation, d’être transportées jusqu’au concentrateur de quartier, avant d’être envoyées à un serveur informatique, par le réseau de téléphonie mobile. Linky n’est donc pas un émetteur d’ondes radio-électriques, même si il induit un champ électromagnétique. De fait, ce champ est très faible :
De faibles niveaux d’ondes
A 30 cm de distance, le champ électromagnétique induit par Linky est plus faible que celui d’une plaque de cuisson, d’après les analyses en laboratoire de l’Agence nationale des fréquences, chargée de gérer et de contrôler l’implantation des émetteurs d’ondes radio-électriques en France. Le champ électrique mesuré est, quant à lui, similaire à celui d’un ancien compteur ou d’une télévision.
Hors laboratoire, et en habitation, « les champs magnétiques [mesurés] sont supérieurs, principalement face au compteur. Mais ils restent deux cents fois au-dessous de la valeur limite réglementaire » note 60 millions de consommateurs.
Micro-ondes ou chemin de fer : l’introduction d’une nouvelle technologie dans la société ne se fait rarement sans peur. En témoigne les légendes urbaines qui les accompagnent. Les dangers supposés des ondes y sont fréquemment représentés.
La peur des nouvelles technologies
« Les peurs associées à une nouvelle technologie semblent émerger à un moment particulier de la vie d’un nouveau produit : la phase exponentielle » note le sociologue Jean-Bruno Renard. Dans les années 80 et 90, de nombreuses légendes touchant les fours à micro-ondes ont ainsi circulé, nous mettant en garde contre l’utilisation de cet objet du quotidien.
La plus célèbre est celle de cette grand-mère qui aurait fait sécher son chien dans un four à micro-ondes. Elle n’est cependant pas la seule légende en circulation. Un article publié en 1998 dans le mystérieux Journal of Natural Science laisse entendre que l’URSS aurait banni le micro-ondes en 1976 pour protéger ses citoyens contre ses effets. Une information reprise encore aujourd’hui mais fausse, comme le montre Snopes, le plus ancien (et célèbre!) site de fact-checking.
Téléphones portables et légendes urbaines
Il est déconseillé de se servir de son micro-ondes comme chauffe-tête note le Pharmachien, pharmacien et blogueur scientifique : on risque de faire cuire son cerveau ! Les ondes émises par les fours à micro-ondes, les téléphones portables et les lignes à haute tension sont des ondes non-ionisantes. A la différence des ondes ionisantes, telles que la radioactivité ou les rayons UV, elles ne peuvent pas briser les molécules à l’intérieur du corps. Elles peuvent cependant chauffer les tissus vivants. D’où l’apparition de hoax comme celui-ci :
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[Hoax] Les aliments cuits au téléphone portable
Des journalistes russes auraient réussi à faire cuire un œuf avec un téléphone portable. Plus récemment, des vidéos virales ont présenté du pop-corn obtenu grâce à l’activation simultanée de quelques mobiles.
Les ondes peuvent effectivement chauffer les tissus vivants. Un téléphone portable n’est cependant pas assez puissant pour faire du pop-corn (ni pour atteindre un niveau de chaleur jugé dangereux pour le cerveau, à moins de se scotcher 50 cellulaires autour de la tête note, toujours, le Pharmachien). On croit cependant à ces vidéos parce qu’elles vont dans le sens de notre intuition : les téléphones portables sont dangereux. Elles se basent par ailleurs sur un effet réel (celui de chauffer des tissus vivants) que le récit « légendaire » se charge d’amplifier à l’extrême.
Une autre croyance sur les téléphones portables a la peau dure. Elle montre elle aussi la puissance de feu de nos mobiles (c’est le cas le dire!) :
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[Légende] Téléphoner dans les stations-essences
Téléphoner à proximité d’une station-essence est fortement déconseillé. Avez-vous déjà remarqué ces autocollants : « Éteignez votre téléphone portable » dans les stations ? Les téléphones pourraient effectivement provoquer des étincelles susceptibles de déclencher une explosion au contact de l’essence.
D’après Aurore Van de Winkel, docteure en sciences de l’information et auteure des Légendes urbaines de Belgique, aucune explosion liée à l’usage d’un téléphone portable dans une station n’a pourtant été répertoriée. Des cas d’incendies déclenchés par l’électricité statique corporelle ont toutefois été observés. De manière erronée, on a attribué aux portables la responsabilité de ces accidents.
Dans le doute, des entreprises comme Shell ou le gouvernement belge perpétuent pourtant les messages d’avertissement. « Dans un environnement de plus en plus hanté par la sécurité, toute démarche visant à minimiser un quelconque danger passe pour irresponsable » note le Prof. Adam Burgess, de l’Université du Kent, dans un article sur le sujet.
Ondes et santé
Jusqu’à preuve du contraire, les ondes ne présentent pas de dangers pour la santé, au niveau auquel nous y sommes quotidiennement exposées ; c’est à dire à des niveaux qui sont à des centaines voire à des milliers de fois en dessous des normes sécuritaires. L’OMS a, certes, classé les champs électromagnétiques comme possiblement cancérogènes (2B) pour l’Homme (comme le café, ou certaines activités professionnelles, comme la menuiserie). Mais cette catégorie regroupe, en réalité, des agents pour lesquels les données sont insuffisantes ou limitées pour établir leur cancérogénicité chez l’Homme.
Dans le cas des ondes des cellulaires, « il n’a jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé » note l’OMS. Toutefois, l’Organisation reste prudente, « l’augmentation de l’utilisation des téléphones mobiles et l’absence de données concernant cette utilisation sur des périodes dépassant 15 ans justifient que de nouvelles recherches soient menées sur l’utilisation des téléphones mobiles et les risques de cancer du cerveau.» D’où une classification des ondes comme « possiblement cancérogènes », position prudente, en l’absence de preuves, transformée en aveux alarmistes par les anti-ondes et certains médias.
Électrosensibilité, le mal du siècle ?
Pourtant, les médias parlent régulièrement, et parfois sans beaucoup de recul, de l’« électrosensibilité ». Une part de plus en plus croissante de la population développerait une hypersensibilité aux ondes, à l’origine de divers problèmes de santé : maux de tête, vertiges, éruptions cutanées…etc.
De nombreuses études se sont penchées sur le phénomène. Jérôme Bellayer, collaborateur du laboratoire de zététique de l’Université Côte d’Azur, en propose une revue exhaustive dans l’ouvrage Electrosensibles (book-e-book, coll. « Une chandelle dans les ténèbres », 2016).
Il constate que la symptomatologie des électrosensibles varie énormément d’une population étudiée à l’autre. Un symptôme ressenti par la majorité des participants d’une étude (par exemple : les maux de tête) peut se retrouver chez à peine un cinquième des participants d’une autre.
Ensuite, lors d’expositions à l’aveugle, les scientifiques n’ont pas constaté de corrélation entre les expositions aux ondes et l’apparition de symptômes chez les personnes dites électro-sensibles. Une personne électrosensible peut ainsi se retrouver en proie au malaise lorsqu’elle pense être exposée aux ondes, alors même qu’aucun émetteur n’est allumé … Ou inversement, se sentir en sécurité en présence d’un émetteur caché ! Leur capacité de prédiction n’est pas supérieure au hasard. Les protocoles tiennent pourtant compte, dans les études plus récentes, des critiques adressées par les anti-ondes aux scientifiques (durée d’exposition, fréquence des ondes…etc).
Un discours médiatique globalement négatif
L’origine psychologique des symptômes des électrosensibles est plus probable. Jérôme Bellayer met en exergue le rôle des médias dans le développement de ce phénomène. Le discours médiatique est globalement négatif sur les ondes. Il accrédite la thèse des anti-ondes sur l’origine de l’électrosensibilité.
Or, ce discours a un réel impact, particulièrement fort chez des personnes anxieuses. Une étude a par exemple montré que des personnes ayant visionné un documentaire sur les dangers du WiFi avant une exposition factice aux ondes étaient plus à même de rapporter des symptômes, et d’attribuer ces symptômes à une électrosensibilité.
Malgré une probable origine psychologique de l’électrosensibilité, la souffrance des personnes électrosensibles ne peut être niée. A ce jour, seules les thérapies cognitives et comportementales (TCC) assurées par des psychologues semblent apporter des bénéfices sur leur degré de souffrance. Elles ne sont, pour ce problème précis, qu’à l’état de recherche note Jérôme Bellayer. Il existe actuellement un vide en matière de traitements, qui alimente le clivage existant sur l’origine de l’électrosensibilité selon ce zététicien.
Le business florissant des dispositifs anti-ondes
Ce vide alimente, aussi, un commerce florissant, par l’intermédiaire de revendeurs spécialisés aux tarifs souvent exorbitants, ou de « gadgets » vendus sur Amazon. Ces produits sont, pour la plupart, inefficaces, et peuvent même avoir l’effet inverse de celui escompté. Cette nouvelle forme de charlatanisme a été plusieurs fois épinglée par la répression des fraudes.
Linky : une installation forcée qui passe mal
Les nouvelles technologies suscitent des peurs dans leur phase exponentielle, nous l’avons vu.
Toutefois, à la différence d’innovations comme le téléphone portable ou le micro-ondes, l’utilisation de Linky et son installation chez les particuliers est imposée par Enedis. Une intrusion qui passe mal, à une époque marquée par une défiance des citoyens face aux institutions et grandes firmes.
Au delà des craintes sur les dangers des ondes, Linky soulève également des inquiétudes importantes et justifiées en matière de respect de la vie privée.
[Hoax] « Œil de Linky »
Cette crainte s’est matérialisée dans un canular pris au sérieux par de nombreux internautes et sites d’information « alternative » : Linky serait équipé d’une caméra-espion, destinée à espionner les foyers français. L’association de consommateurs UFC Que Choisir a, de son propre aveux, reçu de nombreuses demandes de patchs, des petits autocollants permettant d’obstruer une caméra, soit disant dissimulée dans le compteur ! La méprise vient d’une petite diode sur la façade de Linky qui ressemble, sur les photographies, à une webcam encastrée, tel qu’on peut la trouver sur les PC portables.
D’après la CNIL, la courbe de charge mesurée par Linky permet d’avoir des informations précises sur les heures de lever et coucher des habitants d’un logement, leur nombre, leurs absences ou leur utilisation d’eau chaude. La Commission a toutefois émis des recommandations qui devraient éviter tout abus de la part des fournisseurs d’électricité.
La courbe de charge stockée par Linky ne sera transmise au gestionnaire du réseau qu’avec l’autorisation de l’usager. Ce dernier pourra d’ailleurs décider d’empêcher tout stockage de cette courbe par le compteur.
Des citoyens tenus à l’écart
Il serait réducteur d’associer le mouvement anti-Linky a une simple peur des ondes électromagnétiques. Linky inquiète aussi quant au coût que son déploiement va générer, pour des bénéfices qui restent à prouver. Linky pourrait certes permettre une meilleure intégration des sources d’énergies renouvelables au réseau électrique d’après l’ADEME. Mais peu est fait en direction du consommateur, pour que les données de Linky transforment ce dernier en véritable acteur de sa consommation. Une absence d’implication qui alimente, peut être plus encore, la défiance des citoyens ?
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Sources
Hoax-Buster, Snopes.com & Hoax-Slayer.
ADEME. Le compteur Linky : bénéfices pour l’environnement, les consommateurs et les collectivités [lire en Pdf]. Juillet 2015.
ANFR. Rapport technique sur les niveaux de champs électromagnétiques créés par les compteurs Linky [lire en Pdf]. 2016.
OMS. Aide mémoire n°193, Champs électromagnétiques et santé publique : téléphones portables. Octobre 2014.
Adam Burgess. « Téléphones portables et stations-service. Rumeur, risque et précaution », Diogène, vol. 213, no. 1, 2006, pp. 153-173.
Witthoft. M. et Rubin. G. J., «Are media warnings about the adverse health effects of modern life self-fulfilling? An experimental study on idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (IEI-EMF).», Journal of psychosomatic research, 2013, vol. 74, no 3, p. 206-212.
Erwan Seznec. Dispositifs anti-ondes : la répression des fraudes sanctionne. Que Choisir, mai 2016.
« Compteurs intelligents, ondes dangereuses et électrophobie ». Le Pharmachien, Février 2016.
« Compteur Linky et données personnelles ». Conso.net, Mai 2017.
« Linky, brouillard persistant autour du nouveau compteur électrique ». 60 millions de consommateurs, février 2017.
Livres
Jérôme Bellayer. Electrosensibles : vivons nous les prémices d’une catastrophe sanitaire ? Coll. Une chandelle dans les ténèbres, Book-e-book, 2016.
Jean-Bruno Renard. Rumeurs et légendes urbaines. Coll. Que Sais-je ? PUF, 2013.
« Les explosions des stations service » in Aurore Van de Winkel, Les Légendes urbaines de Belgique, p. 208-213. Avant-propos, 2017.
Pour aller plus loin, vous pouvez également lire notre interview de Florian Gouthière, journaliste scientifique, qui revient notamment sur la question des ondes.
Une réponse sur « Linky et la peur des ondes »
[…] Exemple de produits proposés sur le site d’un revendeur d’accessoires anti-ondes. Globalement inefficaces, ils alimentent pourtant un juteux marché, comme nous le voyions dans le dossier consacré à Linky. […]