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Attentat de Strasbourg : la vision déshumanisante du complotisme

Hier soir, un homme a ouvert le feu près du marché de Noël de Strasbourg, faisant trois morts et douze blessés. Les interprétations complotistes des événements, dénonçant l’implication du gouvernement dans les attentats, n’ont pas manqué d’apparaître sur les réseaux sociaux. Un phénomène qui n’a, hélas, rien de surprenant, à l’heure où la sémantique complotiste est devenue « mainstream ».

Beaucoup d’internautes ont vu la main du gouvernement derrière la fusillade de Strasbourg, dans certains groupes Facebook de Gilets Jaunes mais également sur Twitter. L’attentat est survenu hier soir aux alentours de 20h. Il a fait trois morts et plusieurs blessés dans le quartier historique de la ville. D’après les théories complotistes relayées sur les réseaux, les événements tragiques d’hier soir ont été sciemment organisés par l’exécutif afin de briser la dynamique du mouvement des gilets jaunes. Des nouvelles manifestations étaient, effectivement, prévues samedi malgré les tentatives d’apaisement du gouvernement.

Ces théories s’appuient notamment sur la diffusion d’un tweet de la Préfecture du Bas-Rhin, publié à 20h47 mais affichant « 11h47 » :

« L’explication est pourtant des plus triviales », montrent Les Décodeurs dans leur fact-checking : « par défaut, Twitter est réglé à l’heure du Pacifique, c’est-à-dire neuf heures plus tôt que l’heure française ». Le flux d’information de BFM-TV sur les attentats était également daté par Google Actualités au mardi matin, observaient certains internautes. « En réalité » explique France Info, « BFMTV, comme beaucoup d’autres médias, mettent à jour au fil de la journée un fil d’actualité, créé le matin. L’article a donc pu être mis en ligne, et répertorié sur Google, mardi matin, sur une actualité différente… mais retitré avec les dernières informations concernant la fusillade dans la soirée ».

Enfin, beaucoup de complotistes ont mis en avant le bond de popularité de François Hollande dans les sondages, suite à sa gestion des attentats de 2015, ou l’existence de précédentes corrélations entre attentats et nécessités politiques pour expliquer la « stratégie » du gouvernement :

A chaque événement traumatique, la vision complotiste du monde semble désormais se déployer. Selon cette vision, il y aurait un complot, l’action secrète d’un gouvernement, d’une société occulte, d’une classe sociale, derrière les événements de l’actualité. Ce groupe, doté de pouvoir hypertrophiés, agirait de façon monolithique, et au delà de toute morale, pour poursuivre ses intérêts particuliers ; quitte à provoquer des attentats pour quelques points de popularité, ou justifier des politiques sécuritaires. Au sein de cette vision, l’opposition entre le « peuple » – au sens social du terme – et les « élites » est maximal. D’un côté, un peuple honnête mais totalement dépossédé de son pouvoir d’action. De l’autre, des élites cyniques et dotées des pleins pouvoirs, y compris celui de falsifier et mettre en scène l’Histoire.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les faits ne sont pas niés dans ces théories du complot, mais alignés et interprétés, par exemple sur la base d’une confusion entre corrélation et causalité. Le gouvernement cherche à apaiser la crise des gilets jaunes, et à rattraper son manque d’écoute et de réactivité. La fusillade de Strasbourg est corrélée avec cette séquence, puisqu’elle intervient deux jours après le discours d’apaisement d’Emmanuel  Macron et avant une manifestation prévue samedi. Elle aura une conséquence sur la visibilité du mouvement des gilets jaunes. Cela ne veut pourtant pas dire qu’il y a causalité ; à savoir que le premier événement – les tentatives d’apaisement du gouvernement – a provoqué le second. Le cherry-picking – qui consiste à aligner comme des perles sur un boulier des faits qui vont dans le sens de nos opinions – est un autre écueil de ces théories.

Si elles proposent une explication simple à des phénomènes complexes – comme peut l’être cette question de la « radicalisation » de jeunes français mais aussi la réalité d’un monde multipolaire – ces théories ne sont pas inoffensives. Elles portent une vision du monde déshumanisée, dépourvue de toute complexité. Les motivations humaines sont réduites à la seule poursuite des intérêts d’un groupe, d’une « caste » ; pas de place pour la sincérité, les valeurs morales, la compassion – et aussi les erreurs ! – qui peuvent expliquer les actes. Dans des événements comme ceux qui ont frappé Strasbourg hier soir, s’est également illustré une logique où un événement tragique devient l’objet d’un exercice purement spéculatif  : la quête d’indices, de failles, de corrélation pour démontrer le complot à l’œuvre. Sans parler de figures influentes de l’extrême droite qui, sans vergogne, utilisent les événements pour avancer leur propre agenda politique. Ces théories déchargent, enfin, le citoyen de tout pouvoir d’action, de toute responsabilité. A quoi bon agir si tout est écrit par un conglomérat de puissants ? A quoi bon s’impliquer dans la vie politique si tous ses leviers sont sous leur contrôle ?

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