A la piscine, un produit serait capable de repérer ceux qui urinent dans l’eau, dénoncés par un halo de couleur rouge. Répandue dans de nombreux pays occidentaux, cette légende urbaine a la vie dure. Elle est probablement aussi ancienne que l’existence des piscines modernes en France !
En famille ou au cours de natation, de la bouche des parents ou des copains de classe, nous sommes nombreux à avoir entendu qu’il ne fallait pas uriner dans la piscine. Et pour cause ! Les bassins municipaux seraient équipés d’une arme redoutable : un produit chimique qui réagirait à l’urine, entourant les fautifs d’un halo de couleur rouge.
Si le chlore et les matières organiques, telles que l’urine, ne font pas bon ménage, le fameux « détecteur d’urine » est, en revanche, une légende urbaine. Comme le souligne Snopes, la légende du « détecteur d’urine » ne résiste pas au bon sens. Si un tel produit existait, il serait difficile en cas de forte fréquentation de repérer un fautif. Les enfants seraient sans doute les premiers à vouloir mettre ce « détecteur » à l’épreuve ou à en détourner l’usage pour faire des farces. Ce détecteur devrait, par ailleurs, réagir uniquement à l’urine, et pas à des composés organiques similaires présents, eux aussi, dans les piscines.
La documentation manque pour identifier l’origine de cette légende, mais quelques indices laissent à penser qu’elle serait aussi ancienne que les piscines modernes elles-mêmes.
Une légende qui pourrait être aussi ancienne que les piscines modernes
Inaugurée en 1924, la piscine de la Butte-aux-Cailles est une des plus anciennes de Paris. Elle amorcera la construction des piscines modernes en France, entièrement dédiées à la pratique de la natation. Fait nouveau pour l’époque, elle impose aux visiteurs un passage par des douches et pédiluves, pour des raisons d’hygiène. La première piscine parisienne à utiliser le chlore comme méthode de désinfection est toutefois la piscine des Amiraux (1930) selon un procédé dit de verdunisation. Mis au point et testé durant la Première Guerre mondiale, il permet de rendre l’eau potable en utilisant une faible dose de chlore.
Si la Butte-aux-Cailles inspire la construction de piscines à Rennes (1925) et à Lyon (1934), il faudra attendre les Trente Glorieuses pour voir les piscines publiques fleurir sur le territoire, des capitales régionales aux chefs lieux de canton, associé à un fort développement de l’apprentissage de la natation à l’école.
Pour Martine Roberge, ethnologue québécoise, la légende du « détecteur d’urine » pourrait justement être apparue avec l’avènement des piscines publiques, en Europe et en Amérique du Nord, et des techniques de désinfection de l’eau, qui ont recours au « chlore pour rendre salubre ces bassins d’eau stagnante ». De fait, les chercheurs que nous avons interrogés rapportent avoir entendu cette légende dans les années 40 (France), 50 et 60 (Québec). On trouve également des références au « détecteur » dans de nombreuses oeuvres de culture populaire, comme la biographie d’Orson Welles par Barbara Leaming (1985), dans une anecdote prétendument datée de 1937 (mais sans doute inventée), ou le film Grown Ups (2010).
Un colorant rouge
La légende ne concerne pas d’autres lieux de baignade : l’existence d’un tel dispositif dans les lacs ou étangs semble invraisemblable. La piscine publique reste un espace commun très codifié en terme de règles et gestes d’hygiène. Par ailleurs, les bassins offrent, grâce au revêtement en céramique et à la stagnation de l’eau, une grande visibilité … et donc un risque plus grand de se faire « pincer » en cas de coloration des eaux de baignade !
Dans la plupart des versions de cette légende urbaine, le produit devient rouge, sans doute car il s’agit d’une couleur plus repérable que d’autres. Peu présente dans notre vie quotidienne, on la retrouve cependant dans les panneaux d’interdiction, le carton rouge de l’arbitre, les boutons d’alarme incendie, l’alerte rouge … etc. Le site américain Snopes fait le lien avec une autre légende courante dans les écoles américaines : les boutons activant les alarmes incendies seraient équipés de sprays de peinture rouge, qui aspergeraient ceux qui s’amuseraient à les déclencher. Si le dispositif a pu être utilisé de manière épisodique pour « pincer » des élèves à l’origine de déclenchement intempestifs d’alarme, il n’est en aucun cas utilisé partout.
Entre 30 et 75 L d’urine dans les piscines municipales ?
L’hygiène des piscines municipales est un sujet de préoccupation fréquent, du fait de la promiscuité qu’elles engendrent. On les soupçonne – à tort ! – d’être des « réservoirs à virus ». En 2017, une quarantaine de médias reprend un chiffre « choc » : les piscines municipales contiendraient entre 30 à 75 L d’urine ! A l’origine, une étude publiée dans Environmental Science & Technology Letters et consacrée à l’utilisation d’un édulcorant largement consommé (l’acésulfame-K) comme marqueur de la présence d’urine dans les piscines. Après avoir déterminé le taux de ce marqueur sur plus de 250 échantillons issus de 31 bassins canadiens, les chercheurs ont utilisé ces données pour estimer la quantité d’urine dans deux piscines de taille différente, sur une période d’observation de 3 semaines. Ils ont abouti aux chiffres de 30 et 75 L, repris en masse par la presse.
Si les médias ont, en quelque-sort, péché par généralisation, la présence d’urine dans les piscines présente un risque non négligeable. Le chlore est un produit de désinfection efficace et en principe sans danger. Il peut toutefois se recombiner avec les matières organiques – dont l’urine – apportées par les baigneurs, et former des sous produits qui peuvent avoir des effets irritants, et entraîner des troubles oculaires, cutanés et respiratoires, note Le Figaro.
Croyances enfantines
Une interprétation courante de la légende du « détecteur » d’urine est qu’elle permettrait de décourager les enfants de « s’oublier » dans les eaux de la piscine, qu’ils aient du mal à se retenir ou qu’ils aient envie de commettre une bêtise passant relativement inaperçue. En République Tchèque, elle a une valeur éducative auprès des plus petits et est utilisée par les enseignants, note l’ethnologue et folkloriste Petr Janecek. De nombreux adultes y croient également. En France, il est probable qu’elle se raconte aussi entre enfants, par « défi » ou par curiosité (« que se passerait-il si … ? »). Elle rejoint les quelques croyances enfantines qui entourent la piscine, fréquentée en nombre au moment de l’apprentissage de la nage : nageurs qui se seraient tués en sautant du grand plongeoir, « zizis » qui rétrécissent ou se dissolvent dans l’eau, ou petit bassin qui serait plus chaud à cause du « pipi » des petits.
Nous remercions les chercheurs Véronique Campion-Vincent (France), Petr Janecek (République Tchèque), Martine Roberge (Québec) et Aurore Van de Winkel (Belgique) pour leurs informations sur cette légende, qui reste peu documentée.
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Sources
« Does a Urine-Revealing Pool Chemical Exist? » sur Snopes, décembre 2000.
« La verdunisation des eaux : le problème hygiénique de l’eau d’après le rapport Goujon [à lire sur Gallica] », dans Le Petit Parisien, 3 juillet 1933, p.5.
« Le rouge : c’est le feu et le sang, l’amour et l’enfer », Interview de Michel Pastoureau par Dominique Simonnet dans l’Express, juillet 2004.
« Sweetened Swimming Pools and Hot Tubs », dans EST Letters, 2017, vol. 4, p. 149-153.
François Denis. « Les piscines publiques sont-elles des réservoirs à virus ? » sur Figaro Santé, avril 2013.
Anne Jouan. « Piscines : limiter les effets néfastes des chloramines » sur Figaro Santé, juin 2010.
Antoine Le Bas. « Des piscines et des villes : genèse et développement d’un équipement de loisir », dans Histoire Urbaine, 2000/1 (n°1), p. 145-162.
Pour aller plus loin
Petr Janecek : Cerna sanitka : Trikrat a dost. Mytologie pro 21. stoleti. Prague : Plot, 2008, pp. 103-105.
Aurore Van de Winkel parle des rumeurs de lames de rasoirs cachés dans les toboggans du parc aquatique Océade de Bruxelles dans une chronique de juillet 2018, et dans son livre Légendes urbaines de Belgique (Avant Propos, 2017).