Légende noire du jeu-vidéo, Polybius a été accusé de provoquer de graves malaises chez les joueurs, et d’attirer la présence de mystérieux « hommes en noir » avant de disparaître des salles d’arcades. Si cette figure du jeu hanté est fictive, la construction de sa légende doit beaucoup à l’amplification d’une série de mini-événements survenus dans des salles d’arcades de Portland, à une période où le public s’inquiète des effets supposés des jeux-vidéos.
La légende de Polybius
Polybius est un jeu d’arcade prétendument sorti en 1981 et présent dans quelques salles d’arcades de la banlieue de Portland aux États-Unis, d’après les premiers éléments de la légende retrouvés sur Internet en 1998 par Know Your Memes. Les enfants qui ont joué à ce jeu ont été victimes d’étranges troubles comprenant l’amnésie et de terribles cauchemars. Suite à cette expérience, ils auraient cessé brutalement de jouer à des jeux vidéos.
D’étranges hommes en noir seraient alors apparus dans les salles d’arcades pour collecter les informations présentes sur les bornes de Polybius. Identifiés à des agents gouvernementaux ils testaient, d’après les spéculations de la légende, les effets d’un algorithme de modification du comportement. Un mois après son apparition à Portland, le jeu disparaît.
La légende autour de Polybius a commencé à se répandre dans les années 2000, envahissant la culture nerd puis la culture populaire américaine. On retrouve ainsi Bart jouant à Polybius dans un des épisodes de la série The Simpsons en 2006 ! On retrouve également, depuis 2007, de nombreuses vidéos YouTube mettant en scène des parties du jeu vidéo « maudit ».
Des faits réels qui ont pu inspirer la légende
Si aucun élément ne permet d’authentifier l’existence du jeu Polybius, Brian Dunning relève cependant deux faits qui permettraient d’expliquer l’origine de cette légende.
En 1981, la presse rapporte le même jour et dans la même salle d’arcade de Portland, Oregon, le cas de deux adolescents saisis de troubles après avoir joué à des jeux-vidéos. L’un d’eux aurait joué à Asteroïds pendant 28 heures. Il tentait de battre son record face à des équipes de télévision locale, et aurait été pris de maux d’estomacs, dus à l’anxiété et à une consommation aiguë de Coca-Cola. L’autre aurait été saisit de migraines après avoir joué à Tempest. Des cas de crises ont également été rapportés dans la presse au début des années 80, aux États-Unis, provoqués par les jeux-vidéos chez des individus souffrant d’épilepsie photosensible.
Seulement une dizaine de jour après les troubles qui ont saisit les adolescents de Portland, les salles d’arcades de la région ont reçu la visite d’agents du FBI. Les « hommes en noir » prenaient en photo les tableaux de scores des bornes d’arcades. Ils étaient en réalité à la recherche de témoins dans une affaire de jeux-vidéos détournés en jeux d’argent par les propriétaires des salles d’arcades. Les salles d’arcades étant par ailleurs des lieux de recel de drogues et d’objets volés à Portland. Les autorités ont déjà utilisé, d’après Dunning, des bornes équipées de caméras cachées pour identifier des malfaiteurs.
Il est alors possible que le malaise de deux adolescents – micro-événement qui s’est trouvé médiatisé par la présence de journalistes – suivi d’une visite du FBI, ait donné suffisamment d’éléments pour créer une légende. Un phénomène d’amplification que Jean-Bruno Renard analyse dans Rumeurs et légendes urbaines (PUF, 2013). Les malaises et quelques cas de troubles chez des personnes épileptiques ont eu un fort impact émotionnel à une époque où les inquiétudes concernant les jeux-vidéos étaient essentiellement médicales. Le débat autour de leur violence était déjà présent, mais il s’est surtout accentué dans les années 2000.
Polybius, reflet de nos peurs
Jean-Bruno Renard observe que « les peurs associées à une nouvelle technologie semblent émerger à un moment particulier de la vie d’un nouveau produit : la phase exponentielle ». Après la phase d’usage minoritaire, de plus en plus de consommateurs utilisent le produit, tout en s’interrogeant sur les dangers éventuels. Chaque nouvelle invention fait ainsi naître des « légendes noires » dénonçant leurs dangers. Et les risques sont largement exagérés. Du risque de crises chez des sujets épileptiques exposés aux jeux-vidéos, on passe ainsi à la croyance de jeux rendant épileptiques des individus sains.
En substance, la morale de la légende de Polybius – qui se greffe à un motif conspirationniste – est simple. Derrière un aspect ludique et innocent, les jeux vidéos parasitent la conscience des joueurs. Les « victimes » de Polybius arrêtent, d’ailleurs, tout contact avec les jeux-vidéos !
On peut cependant voir, dans la persistance et la diffusion de cette légende dans les années 2000 parmi les gamers, une fascination pour un motif récurrent des légendes internet et autres creepypastas. Celui de l’objet-hanté (image, vidéo, jeux…etc) provoquant la mort ou de graves conséquences sur le spectateur…
Une réponse sur « Polybius, légende noire du jeu-vidéo »
[…] Eugène Trutat. Locomotive dans la gare, Saint-Antonin, septembre 1889 (source : Gallica). Le développement du train au XIXe siècle suscitera de nombreuses « légendes noires » : locomotive maudite marquée du n°1313, disparition mystérieuse de voyageurs, passagers devenant fous en voyant le paysage défiler si vite. Des récits qui ne sont pas sans rappeler des légendes bien plus récentes, mettant en scène des jeux vidéos hantés, à l’origine de suicides ou utilisés dans des expériences de contrôle mental. […]