Catégories
Rumeurs & Légendes urbaines

Légendes et imaginaire du SIDA

Le Sida est apparu à une période de l’Histoire où le monde occidental se pensait à l’abri des grandes épidémies. Il renverra, à cette époque, à ce que Susan Sontag a qualifié d’ère pré-moderne de la maladie dans son essai Le Sida et ses métaphores (1989). Engendrant une gamme apparemment illimitée de maladies symptomatiques pour lesquelles il n’existera que des palliatifs, le Sida se déclare effectivement au terme d’une longue phase asymptomatique durant laquelle les personnes infectées sont considérées comme malades avant de l’être. Il touchera dans les premiers temps des « groupes à risque », homosexuels et héroïnomanes, entraînant une marginalisation de ses victimes.

Frappant durablement l’imaginaire occidental, le Sida sera la « peste » de notre temps. Un fléau que certains interpréteront comme le jugement porté sur les individus d’une communauté corrompue, mais dont les conséquences seront subies par la masse.

L’impuissance de la science, l’apparition presque soudaine de l’épidémie – sans que l’on ne sache au début pourquoi elle ne semble atteindre que les homosexuels – formeront un terreau où prospéra de nombreux discours rumoraux et théories du complot tentant d’en expliquer l’origine.

Le Sida, en tant que « mal absolu » sera également intégré dans des motifs plus universels propres aux légendes urbaines, du « quotidien piégé » des fruits exotiques contaminés par le VIH aux « maniaques urbains », Aids Mary, Aids Harry et les junkies fous dissimulant leurs seringues dans les sièges des cinémas. Bien que la perception du Sida ait grandement changé avec l’amélioration des traitements proposés aux malades et une moindre médiatisation et visibilité de la maladie et de ses victimes, ces légendes continuent d’ailleurs de se propager, créant des mini-vagues de panique, des hoax sur les réseaux sociaux… Traduisant une peur, toujours réelle, d’une contamination « involontaire » ?

Nous verrons, au travers de ce nouveau dossier, que l’étude de ces rumeurs et légendes est une porte d’accès à la perception, dans l’imaginaire collectif, de l’épidémie du Sida et de son évolution, … de ses changements sociaux aussi.

Rumeurs de l’origine du SIDA

Pour Gilles Pialoux (Sida 2.0 : regards croisés sur 30 ans d’une épidémie, 2012), le début du SIDA en tant que maladie est marqué en 1981 par la publication d’une série d’article dans des bulletins scientifiques, décrivant des infections opportunistes chez de jeunes homosexuels puis des héroïnomanes. En juillet 1981, le New York Times signale « une forme rare de cancer chez des homosexuels », les victimes ayant, pour la plupart, été soignés pour des infections sexuellement transmissibles et faisant usage de drogues récréatives comme le poppers ou le LSD.

L’origine de ces infections n’est pas évoquée d’emblée, et le fait qu’elles ne semblent toucher que la population homosexuelle intrigue et génère certains fantasmes, notamment celui de la punition adressé à une communauté, selon le Matin de Paris du 2 janvier 1982, à la « sexualité trop frénétique » et abusant des drogues.

La découverte d’un premier cas d’infection opportuniste chez un hémophile orientera cependant vers une origine virale, et une première souche de virus est découverte en 1983 par une équipe de scientifiques et médecins français.

Découverte du foyer africain

Peu avant cette découverte, la possibilité d’un foyer de contagion africain commençait à faire surface, avec la description de cas de SIDA chez des patients africains ou ayant voyagé en Afrique. En 1975 déjà, on note la multiplication de sarcomes de Kaposi et de diarrhées résistantes aux antibiotiques en Afrique centrale puis de méningites à champignons au début des années 1980.

Il faudra cependant quelques années pour que les pays occidentaux, et notamment les États-Unis, reconnaissent l’ampleur de l’épidémie africaine, où les relations hétérosexuelles figurent comme mode majeur de transmission.

L’ampleur de cette épidémie et la possible origine africaine du SIDA, feront émerger, selon un biais culturaliste qui associe l’homme noir à une plus grande fréquence et promiscuité des rapports sexuels, une « hypothèse sexuelle africaine » focalisée sur l’activité sexuelle spécifique des africains, au détriment des autres modes de transmission et de propagation du virus, notamment la réutilisation des seringues dans le cadre de programmes de soins massifs ou certains facteurs liés à l’hôte (comme la présence d’autres infections sexuellement transmissibles).

Un contexte où l’information est lacunaire et la science impuissante

Les rumeurs surgissent dans des contextes où l’information est lacunaire : ce sera le cas de l’épidémie de SIDA. A la fin du XXe siècle, l’Occident semble effectivement à l’abri des grandes épidémies qui ont secoué son histoire et la propagation d’une telle maladie, pour laquelle il n’existe aucun remède, si ce n’est des palliatifs, dépasse la raison, tout comme son apparition soudaine, ou le fait qu’elle semble toucher en priorité des communautés bien précises, pour des raisons qui échappent à la compréhension dans un premier temps : les populations des pays d’Afrique, les homosexuels et les toxicomanes en Occident ou encore les haïtiens. L’impuissance de la science face au SIDA laisse, par ailleurs, à penser qu’elle cache des choses.

Geneviève Paichelier et Alain Quemin ont mené en 1992, 61 entretiens approfondis auprès d’un échantillon de la population française sur « la façon dont les personnes perçoivent et intègrent les informations sur le SIDA » et ont relevé des discours rumoraux dans environ un cinquième d’entre-eux. Ils examinent notamment différentes hypothèses, formulées par les personnes interrogées, sur les origines du SIDA. Perçue comme maléfique, cette origine s’articule en trois motifs qui se combinent fréquemment dans les discours, et se soutiennent : l’erreur de laboratoire (ou le SIDA comme conséquence indirecte d’une expérience qui aurait mal tourné), l’arme bactériologique et le complot visant à éliminer une partie de la population.

Dans ces trois motifs, les américains sont très fréquemment cités comme responsables : par le fait que la maladie y soit apparue de façon précoce, mais aussi par leur statut de super-puissance à la fois militaire et scientifique. Il citent également une rumeur, plus marginale, qui attribuerait l’origine du SIDA à la copulation d’hommes avec des singes verts d’Afrique, mais elle est jugée de manière plus extravagante et difficile à croire par les personnes interrogées.

Le complot américain : une rumeur mondialisée

La thèse du complot américain est apparue très tôt, en 1983 dans le journal indien The Patriot, fondé par le KGB, avant d’être reprise par un journal soviétique et d’être diffusée dans le monde entier. Susan Sontag dans son essai Le Sida et ses métaphores, indique que cette thèse est très répandue en Afrique, comme arme bactériologique fabriquée par un laboratoire de l’armée dans le Maryland, et destinée à faire baisser la natalité du continent africain. Une thèse reprise peu ou prou par une des personnes interrogées dans l’étude de Geneviève Paichelier et Alain Quemin, parisienne « branchée », citant cette fois l’hypothèse d’une arme crée par les puritains américains pour lutter contre le relâchement des mœurs et prenant pour preuve l’apparition précoce et l’identification du virus dans ce pays et le « grand retour du puritanisme » incarné par les années Reagan.

Patricia Turner, dans son travail sur les rumeurs dans les populations afro-américaine, identifie quant à elle quatre motifs récurrents dans les rumeurs qu’elle a elle même collectées : la responsabilité d’un des organes du gouvernement américain ; une conspiration visant les populations africaines ou leurs descendants, ainsi que d’autres groupes sociaux (les homosexuels) ; une conspiration décrite à la fois comme une expérience qui aurait échappé à tout contrôle et une arme biologique, bactériologique ou chimique ; la diffusion du SIDA au-delà des groupes visés par la conspiration, vue comme une erreur.

Les rumeurs sur les origines du SIDA, étudiées par ces deux études, font donc l’objet d’une diffusion mondialisée, malgré leurs variantes. On reste sur l’hypothèse d’un virus trop « parfait » et apparaissant trop soudainement pour être naturel. La responsabilité de sa diffusion incomberait – à des degrés divers – à un groupe d’humains : qu’il s’agisse d’une erreur d’expérimentation ou d’un complot contre des populations ciblées.

Des légendes de contaminations par les aliments ou des seringues abandonnées qui persistent

Le SIDA fait aujourd’hui moins peur et est devenu une maladie moins visible, ce que confirme l’enquête sur les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/Sida menée entre 1992 et 2010 en six vagues [voir également le rapport pour l’Île-de-France]. Le nombre de personnes connaissant, parmi ses proches, une personne séropositive est en baisse en France métropolitaine (15,3 % en 2010 contre 21,8 % en 1998). Avec l’amélioration de la prise en charge des personnes séropositives le SIDA est, par ailleurs, aujourd’hui perçu comme une maladie chronique et contrôlable. On observe, enfin, un phénomène de lassitude face à la problématique du SIDA et à la promotion du safe-sex dans les milieux gays, mais également au-delà.

On peut donc être surpris de la persistance de légendes urbaines ou des mini-vagues de panique qui viennent ponctuellement toucher la France ou les États-Unis autour de contagions accidentelles, par des seringues infectées déposées – parfois par des junkies fous – dans des sièges de cinémas ou des monnayeurs par exemple, notées dès 1991. Rumeurs circulant sur les réseaux de fax puis par internet comme le relèvent les sociologues Véronique-Campion Vincent et Jean-Bruno Renard dans De source sûre : nouvelles rumeurs d’aujourd’hui (2002), le site Hoaxkiller ou encore Hoaxbuster.

Le même site relève d’ailleurs en 2015, un hoax plus surprenant encore, signalant la présence de sang contenant le VIH dans des oranges dont les deux versions originales, apparues en Algérie, indiquent qu’il s’agit là d’une arme ciblant les musulmans et élaborée par les égyptiens ou lybiens (suivant les versions) à la solde des « sionistes et leurs agents ». Quelques mois plus tard, c’est au tour des bananes de générer le même type de soupçons, avec la reprise en France d’un hoax circulant aux États-Unis. On note que dans le même pays, un hoax légèrement différent, en circulation depuis 2005, est repéré sur Facebook en mars 2014 par David Emery : un garçon de 10 ans aurait été contaminé par le SIDA après avoir mangé un morceau d’ananas vendu par un homme qui, s’étant blessé le doigt en coupant le fruit, y aurait répandu du sang.

Une peur de la contagion « involontaire » et des croyances erronées sur les modes de contamination toujours présentes

Susan Sontag, dans Le Sida et ses métaphores, observe que les maladies infectieuses auxquelles est liée une faute sexuelle génèrent la peur d’une contagion facile, d’une transmission dans les lieux publics. C’est le cas par exemple de la syphilis au XIXe siècle, que l’on craint d’attraper dans les toilettes publiques. Et c’est le cas du SIDA, perçu dans les années de son apparition comme une peste, une malédiction, subie par les membres d’un « groupe à risques » (les homosexuels, les héroïnomanes) mais susceptible de nous toucher tous, instrumentalisé comme la preuve d’un laxisme moral. Être atteint du SIDA revenant à avouer son appartenance à un de ces groupes.

Si il est difficile de déterminer si cette représentation de la maladie est toujours forte aujourd’hui, nous pouvons néanmoins observer que de nombreuses croyances erronées quant aux modes de contamination – et notamment ceux qui impliqueraient une transmission « facile » et « involontaire » – persistent. L’enquête ANRS-KABP citée plus haut montre ainsi que la croyance en une contamination dans les toilettes publiques est partagée par 16,8 % de la population de France métropolitaine. Une croyance stable depuis 1994. 24,3 % des personnes interrogées croient également que le VIH peut se transmettre par une piqûre de moustique. Si la peur du SIDA diminue, la crainte d’être contaminé est, enfin, en hausse.

On peut lire, par ailleurs, dans cette persistance des légendes de contamination « facile », un discours de défiance face à l’injonction des autorités sanitaires à la protection, ce que notent Campion-Vincent et Renard : « à quoi bon accepter la contrainte du préservatif si le danger est tapi dans les cinémas ? ». L’enquête ANRS-KABP constate à ce sujet une forte augmentation depuis les années 2000 de la croyance en une contamination possible malgré l’usage d’un préservatif chez les jeunes franciliens (18-30 ans), qui sont un tiers en 2010 à y adhérer. Et même si le préservatif est toujours considéré comme le moyen le plus efficace pour se protéger du SIDA, la proportion de la population francilienne à le croire « tout à fait efficace » est en baisse, au profit de réponses plus nuancées.

Des légendes qui intègrent le SIDA dans des motifs plus larges et universels

La persistance de ces légendes urbaines peut être expliquée par une autre raison, moins directement liée au Sida en lui même. Le Sida, en tant que figure du « mal absolu » de la fin du XXe siècle, a été effectivement intégré dans des motifs plus universels, comme celui, assez présent dans les légendes urbaines, du « quotidien piégé » tel que Jean-Bruno Renard le définit dans Légendes urbaines : rumeurs d’aujourd’hui (1992) où un objet banal, répandu, utilisé ou consommé par des enfants et des créatures innocentes cache une menace ou un danger mortel. Les yuccas contenant des mygales, le produit toxique pour les enfants et les animaux des lingettes Swiffer, ou les décalcomanies au LSD étant des exemples célèbres. L’objet banal en question peut servir de catalyseur à une peur de la modernité – représentée par le produit de consommation de masse – ou à une peur de l’étranger, représenté par le jouet dangereux d’origine chinoise, la plante ou le fruit exotique…etc. C’est le cas pour les fruits et autres produits de consommation infectés au VIH : oranges de Lybie, bananes du Guatemala, ananas…etc.

La violence qui s’exerce, par ailleurs dans la légende des seringues infectées dans les fauteuils de cinéma est celle, aveugle et gratuite, des « maniaques urbains ». Elle rappelle pour Campion-Vincent et Renard l’intense rumeur autour de « piqueurs », frappant Paris au début du XIXe siècle, qui piquaient, à l’aide d’objets pointus, les membres des femmes qu’ils croisaient dans le rue. Qu’il s’agisse des piqueurs urbains ou des individus dissimulant des seringues infectées au VIH, ce motif catalyse la peur d’une violence gratuite, frappant au hasard et répondant à la logique interne d’un « maniaque », motivé par le seul plaisir de semer le chaos et la mort. On retrouve parfois d’ailleurs, dans le récit de la légende des seringues, la mention d’une note à l’ironie cruelle : « Vous venez d’être infecté par le VIH », similaire à l’inscription au rouge à lèvre « Bienvenue au club SIDA » laissée sur le miroir de la salle de bain par la partenaire sexuelle inconnue d’une autre légende urbaine.

Les « roulettes sexuelles » : analyse d’une rumeur propagée par la presse française

Dans son étude sur « Le changement social à travers la culture populaire : le cas de la pornographie bareback » Nicolas Saucier note qu’après une période (1980-1995) où la pornographie gay encourageait explicitement le safe-sex via notamment l’engagement de certaines maisons de production, nous voyons depuis 1995 un développement de la pornographie bareback, reflet selon lui d’un changement social, lié notamment à un changement de perception de la menace représentée par le SIDA.

Citant Crossley, il identifie quatre facteurs qui ont contribué à l’essor de cette pratique sexuelle : le SIDA est, d’abord, perçu comme une maladie chronique et plus comme une maladie mortelle ; les jeunes générations n’ont pas été témoins des ravages du SIDA (et nous ajouterons d’après l’étude du KABP citée plus haut que ces générations sont moins nombreuses à connaître une personne séropositive que les autres générations) ; la relation non-protégée est perçue par certains gays comme une expression d’amour, une preuve d’engagement ; enfin, le fait de ne pas porter un préservatif est vu comme un acte de résistance face aux politiques interventionnistes de santé publique en faveur du safe-sex mises en place pendant les années où le virus décimait le milieu gay, pour une communauté dont la résistance à la culture hétérosexuelle dominante s’est originellement basée sur le sexe en tant que plaisir absolu.

L’étude du KABP sur les croyances et comportements face au SIDA note que les jeunes générations (18 à 30 ans), interrogées lors de l’enquête en 2010, ont commencé leur vie sexuelle dans un contexte différent de celui de leurs aînées, après l’apparition des trithérapies en 1996 qui changeront grandement le destin des malades. « Il ont, pour la première fois depuis 1994, une moins bonne connaissance des mécanismes de transmission du virus que leurs aînés ». L’enquête note également une baisse de l’usage du préservatif lors du dernier rapport sexuel, notamment chez les jeunes (34 % des hommes et 22,7 % des femmes de 18 à 30 ans en 2010, proportions les plus faibles depuis 1994 où elles étaient à 40 % et 30,7 % chez cette même classe d’âge). Rappelons également qu’elle constate qu’un tiers des jeunes franciliens croit à une transmission possible du VIH malgré l’usage du préservatif.

Ce fossé de générations, entre les générations qui ont connu les ravages du SIDA et ont été exposés aux grandes campagnes de prévention des années 1980 et 1990, et la nouvelle génération qui présente des signes de lassitude, voir de défiance, face au safe-sex, peut expliquer en partie l’émergence de rumeurs telles que celles qui ont ému la presse il y a quelques mois, autour de l’organisation de roulettes russes sexuelles en Espagne dont le concept serait

« d’organiser des orgies sexuelles à faire sans protection, avec des porteurs du VIH. Une manière pour les jeunes de flirter avec la mort. Un jeune homme homosexuel de 22 ans qui aurait participé à l’une de ces soirées à risques explique : « Préférer prendre le risque d’avoir le sida plutôt que de porter un préservatif toute sa vie. » Les participants prendraient cependant des comprimés bleus (un traitement préventif contre le sida) interdits à la vente en Espagne censés les protéger contre une infection en cas de rapport sexuel non protégé. En France, l’utilisation de ces comprimés est autorisée pour les personnes séronégatives exposées au risque de contamination. Ils sont pris en charge à 100% depuis début 2016. (source : Le Point.fr, 4 mai 2016) ».

Présenté comme un phénomène répandu en Espagne, les « roulettes russes sexuelles » se révéleront être une rumeur difficilement vérifiable, basée sur l’interview d’un médecin d’un hôpital de Barcelone pour le site d’une radio espagnole « qui rapporte le témoignage d’un patient de 22 ans, qui lui aurait parlé de cette  »roulette sexuelle » » à propos d’une soirée chem-sex (soirée mêlant sexe et consommation de drogues) à laquelle il aurait participé. Interrogé par le Monde, il déclarera ne pas vraiment savoir si ces « roulettes sexuelles » existent vraiment : « Je ne sais vraiment pas. Il s’agit de cas anecdotiques racontés par certains de mes patients. Je ne sais pas si c’est vrai et si c’est répandu ou non. En revanche, des soirées “chemsex” existent. Je ne peux pas dire à quelle fréquence il y en a à Barcelone, mais il y a de vrais risques à y participer car l’utilisation du préservatif y est rare. »

Cette rumeur peut être vue comme un catalyseur de la peur des générations qui ont connu les ravages du SIDA face à un relâchement des pratiques de prévention chez les plus jeunes. Voire à la perception d’une jeunesse inconsciente, aux mœurs jugées plus dissolues, face à laquelle il faudrait donner l’alerte. Le contenu de la rumeur en lui même joue sur le choc entre deux antagonismes, un élément récurrent des légendes urbaines : la dimension de jeu apportée par l’expression « roulette sexuelle » – qui peut rappeler le jeu plus innocent de la bouteille dans son principe – ou ce que l’on pourrait qualifier de joker – incarné par le« traitement préventif contre le SIDA » pris par les participants – et ce avec quoi l’on joue : la maladie du SIDA. Il rappelle par ailleurs, par l’attitude des personnes séropositives qui participeraient à ce jeu, les légendes autour des partenaires sexuels inconnus que nous avons relevées plus haut, qui coucheraient avec des personnes choisies au hasard avant de leur révéler sur un mode ironique qu’elles ont été infectées par le SIDA. Sauf que les « victimes » ici se prêtent au jeu, renforçant le cynisme du récit et la présupposée culture de la mort des jeunes générations.

Image à la une : Félix Gonzales Torres, Double Fear, 1987, Serpentine  Gallery, London.

 

Sources

Les connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH / sida en Ile-de-France en 2010. Enquête ANRS-KABP. Décembre 2011. http://www.anrs.fr/content/download/3953/21176/file/rapport_KABP_2011.pdf.

Vingt ans d’évolution des connaissances, attitudes, croyances et comportements face au VIH/sida en France métropolitaine. Enquête ANRS-KABP, 2010. http://opac.invs.sante.fr/doc_num.php?explnum_id=8628.

Julie Castro. Sida, Afrique et mythologie des comportements sexuels, décembre 2015. http://www.laviedesidees.fr/Sida-Afrique-et-mythologie-des-comportements-sexuels.html.

Guillaume Lachenal. La quête des origines du Sida, octobre 2014. http://www.laviedesidees.fr/La-quete-des-origines-du-Sida.html

David Mikkelson. The origin of AIDS : Was AIDS created by the CIA?, dernière mise à jour : 2013. http://www.snopes.com/medical/disease/aids.asp.

Geneviève Paichelier et Alain Quemin. Une intolérance diffuse : rumeurs sur le SIDA. Sciences sociales et santé vol. 94, n°4, 1994. http://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_1994_num_12_4_1308

Nicolas Saucier. Le changement social à travers la culture populaire : le cas de la pornographie bareback. Aspects sociologiques, vol. 21, n°1. 2014. http://www.fss.ulaval.ca/cms_recherche/upload/aspectssociologiques/fichiers/saucier2014.pdf.

Tara C.Smith, Steven P.Novella. La négation du VIH à l’ère d’internet. Charlatans.info. http://www.charlatans.info/anti-hiv.php

Livres

5 réponses sur « Légendes et imaginaire du SIDA »

[…] Les débuts du SIDA dans les années 1980 généreront des théories similaires à celles qu’on connaît aujourd’hui pour le coronavirus. A l’époque, le fait qu’il n’existe aucun remède pour la maladie, si ce n’est des palliatifs, dépasse la raison. Tout comme son apparition soudaine ou le fait qu’elle semble toucher en priorité des communautés bien précises. La rapidité de l’épidémie de coronavirus, les mesures inédites de confinement et les scènes rapportées dans les hôpitaux sont elles aussi un choc pour l’opinion publique. L’Occident semblait effectivement être à l’abri des grandes épidémies qui ont secoué son histoire. Une certaine croyance en la toute puissance de l’Homme face à la nature semble être de mise dans le complotisme : si l’Homme n’arrive pas à prévenir le danger que représente un virus, c’est qu’il en est à l’origine. […]

Laisser un commentaire