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STS, un « code secret » pour envoyer gratuitement des cartes postales ?

De nombreux voyageurs se partagent cette astuce : pour envoyer gratuitement une carte postale, il suffirait d’écrire STS (pour Student pour student) à la place du timbre. Dans une certaine mesure, la méthode fonctionne. Elle repose toutefois sur les failles des systèmes postaux, et non sur une réelle franchise.

STS : Une astuce qui fonctionne ?

Adèle, 27 ans, est la première à me parler de cette astuce en Juin 2017 : « Ça fait maintenant quatre ans que mon frère utilise cette astuce avec son groupe de potes. Ils s’envoient des cartes postales et au lieu d’y mettre un timbre, ils écrivent « STS ». Il y a quelques ratés, mais globalement ça marche. Ils envoient et reçoivent des cartes sans jamais rien payer ! ».

Une franchise réservée aux étudiants d’après la légende

D’après de nombreux blogs, STS signifierait Student to Student. Il s’agirait d’une sorte de franchise postale réservée aux étudiants : « Normalement, cette astuce a été créée pour les étudiants qui voyagent dans toute l’Europe pour leurs études et qui n’ont pas les moyens d’acheter des cartes postales/timbres. » explique Jack Sale Air dans un post daté de 2010 (en anglais). « De cette façon ils peuvent envoyer des nouvelles à leurs amis sans dépenser un centime. »

Sur les blogs et forums de voyages français, il est toutefois indiqué que la franchise fonctionne dans le monde entier, à condition que les envois s’effectuent d’un pays à l’autre. Comme le précise Julie (2015) sur Le Monde au tournant : « Les méthodes STS et 2-FA-BE [nda : moins populaire, le sigle « 2-FA-BE » est cité par certaines sources comme un « code secret » permettant, lui aussi, d’envoyer gratuitement des cartes postales mais dont personne ne connaîtrait l’explication exacte] semblent être destinées à des envois internationaux. Seuls de rares cas d’envois nationaux réussis ont été rapportés. »

En août 2016, la « franchise » STS est évoquée par une vidéo du journal Le Monde. A sa suite, des sites de divertissement comme Grazia, Femme Actuelle, Koreus etc reprennent l’information, l’ensemble de ces médias donnant à l’astuce une nouvelle popularité. La vidéo originelle joue sur l’ambiguïté : STS est présenté comme un « truc » qui fonctionne sans que personne ne puisse expliquer pourquoi. Les équipes du Monde ont effectivement  réussi à envoyer une carte postale en utilisant STS, mais cette franchise demeure inconnue pour les services postaux français, allemands et slovène, ainsi que pour le Musée de la Poste.

Cette réussite non-expliquée mérite que l’expérience soit tentée de manière plus rigoureuse, avec notamment un « groupe contrôle » …

STS mis à l’épreuve

« J’ai reçu ta carte ! C’est incroyable ! ». Adèle est la première à me répondre, par un court SMS. Je reçois bientôt sur ma boîte mail une capture de la carte déposée, quelques jours plus tôt, dans une boîte jaune. Et ce ne sera pas la dernière …

carte postale STS Student to Student

Six « cobayes », domiciliés en France et aux États-Unis, ont effectivement accepté de jouer le jeu (merci à Adèle, Adrien, Aurélien, Carla, Stéphanie et Johnny). Je leur ai fait parvenir deux cartes : l’une de Strasbourg, l’autre de Kehl, en Allemagne.

Sur un total de 12 cartes, six portaient un « STS Student to Student » en guise de timbre. Six autres constituaient un « groupe contrôle » avec, à la place de l’affranchissement, une mention quelconque : le prénom de la personne, un faux-timbre dessiné, etc.

Carte postale STS Student to Student USAA la fin de l’expérience, les participants ont, à une exception près, reçu toutes les cartes envoyées sans timbre. La méthode STS n’a cependant pas montré de meilleurs résultats que la méthode « contrôle ». D’ailleurs la seule carte non distribuée est une carte estampillée STS.

Trois cartes « STS » et trois cartes du « groupe contrôle » ont en revanche été marquées d’un « T » par La Poste. Cette lettre indique qu’une taxe doit être demandée au destinataire par le facteur chargé de la distribution du courrier, l’expéditeur n’ayant pas assez affranchi l’envoi.

Enfin, envoi nationaux et internationaux ont montré des résultats équivalents.

Une anomalie plus qu’un véritable code secret

Que retenir de cette petite expérience ? On peut (à nos risques et périls !) envoyer du courrier sans timbre. La carte se glisse alors entre les failles du système de tri et de distribution des postes. Mais cela se produit sans recours spécifique à la mention « STS » ou à un quelconque « code secret ».

La Poste nous a d’ailleurs confirmé que STS était bien une « légende, les envois insuffisamment ou non affranchis pouvant donner lieu à la perception auprès du destinataire et, en cas de refus de ce dernier, auprès de l’expéditeur, d’un montant égal à l’insuffisance d’affranchissement à laquelle s’ajoute un montant fixe de traitement ».

On peut supposer que le contrôle de l’affranchissement soit moins rigoureux pour les cartes postales que pour les plis sous enveloppe ou colis. Contrairement aux enveloppes, les cartes postales ont effectivement un poids qui n’excède par les 20g d’un timbre-poste classique. Au moment de la distribution, il est par ailleurs probable que beaucoup de facteurs préfèrent laisser passer une carte non timbrée que la retenir en bureau de poste. Cette dernière procédure implique effectivement l’édition d’un avis remis au destinataire pour récupérer une somme, au final, dérisoire (2,32 € de taxe en 2020 + le prix d’un timbre).

A l’origine de la légende STS

Difficile de retracer l’origine de la franchise légendaire STS. Mais plusieurs faits réels, croyances ou légendes urbaines ont pu l’inspirer directement : qu’il s’agisse de franchises postales existantes ou des mystérieuses séries de lettres qui tiennent lieu de timbres dans la pratique superstitieuse des chaînes magiques.

Des franchises postales réelles

STS s’inspire peut-être de l’existence de réels cas où l’échange de courrier se révèle gratuit. Certaines de ces franchises postales font même l’objet d’accords internationaux. La charte de l’Union postale universelle, organisme de l’ONU qui offre un cadre commun aux postes de 192 pays du monde entier, prévoit ainsi que les prisonniers de guerre et les aveugles puissent envoyer et recevoir gratuitement du courrier. Nulle mention toutefois d’une franchise étudiante dans cette charte.

Enveloppe avec cécogramme, © collections de L’Adresse Musée de La Poste, Paris.
Enveloppe avec cécogramme, © collections de L’Adresse Musée de La Poste, Paris.

Dans le cas des aveugles, la franchise est justifiée par « le coût plus élevé des expéditions, résultant du poids nettement plus important que le papier des documents Braille ou sonores, et par une plus grande commodité des achats à distance avec livraison postale. » explique Yanous, le magazine francophone du handicap. Sa mise en œuvre dépend de chaque pays. En France, on utilise pour éviter les fraudes un timbre spécial appelé cécogramme. Il est distribué par une vingtaine d’associations et institutions agrées.

On devine ici que, dans le cas d’une réelle franchise postale entre étudiants, les moyens de lutter contre la fraude seraient plus limités, en la seule présence d’un sigle STS écrit à la main. « Aucune boîte aux lettres ne m’a demandé de carte étudiante » précise d’ailleurs un des blogueurs qui partage l’astuce !

D’autres franchises existent en France : les courriers à destination du Président de la République ou du Père Noël sont aussi exemptés de timbres.

Chaînes de lettres et franchises magiques

Il y a peu de traces de STS sur le Web avant la fin des années 2000. Nous n’avons, par ailleurs, pas pu découvrir l’origine réelle de cette croyance. On retrouve toutefois dans certaines chaînes de lettres, datant d’avant Internet, des procédés similaires. Dans un article de 1995 consacré au sujet, l’anthropologue Jean-Loïc Le Quellec remarque que beaucoup de ces chaînes, qui transitent alors par la poste, invitent leurs destinataires à remplacer le timbre par une suite de chiffres ou de lettres : F.E., B.F.D., T.T.C.C. ou encore 91669, comme si « la chaîne se consid[érait] souvent elle-même comme étant au-dessus des lois de l’administration postale. […] Au premier abord, ces formules n’ont pas de signification apparente, mais le grand nombre de celles qui commencent par un « F » laisse à penser que, grâce à elles, les utilisateurs souhaitent obtenir une franchise postale (on songe au F. M. de la « franchise militaire »). Mais les postes ignorent de tels sigles, et les destinataires doivent généralement payer la taxe. Les initiales F.M. ont dû être familières aux personnes qui ont connu les deux dernières guerres, ce qui pourrait expliquer en grande partie la poursuite de cet usage. »

Frank, une légende américaine similaire à STS

Il existe aux Etats-Unis une croyance similaire à STS : il suffirait d’inscrire le prénom Frank ou Frankie sur un courrier pour le voir gratuitement acheminé par l’US Postal Service. D’après la légende, cette franchise serait apparue à la suite d’un terrible accident de voiture postale, qui aurait coûté la vie à un enfant prénommé Frankie. Plutôt que de demander des dommages et intérêts, ses parents auraient contraint l’USPS à accepter de distribuer gratuitement les courriers qui porteraient « Frankie » en lieu et place du timbre. Dans une autre version, un certain Frank aurait fait un don pharamineux à l’USPS. En échange, la poste américaine aurait accepté de délivrer gratuitement le courrier de ceux qui sont dans le besoin. Ces derniers n’auraient qu’à inscrire le prénom du généreux donateur, Frank, pour affranchir leur lettre.

Pour Snopes, spécialiste américain des légendes urbaines, ces récits découlent d’une pratique bien réelle : le franking privilege. Mais arrêtons nous quelques instants sur ce prénom, « Frank », dont on retrouve l’étymologie dans le langage courant et en particulier dans le nom affranchissement.

A l’origine du timbre-poste

Timbre Cérès de 20 centimes
Le premier timbre français (1849) était de 20 centimes et à l’effigie de la déesse romaine Cérès

« Frank » signifie dans la langue du peuple franc « libre ». On le retrouve dans « affranchissement », « franchise » etc.

Avant le milieu du XIXe siècle, l’expédition d’un courrier était réglée par le destinataire. La taxe demandée dépendait de différents critères tels que la distance parcourue par le courrier, son poids ou encore sa taille. Outre sa complexité, ce système pouvait se révéler onéreux pour les services postaux, le destinataire pouvant refuser le courrier qui lui était adressé !

A l’heure du développement des échanges et du commerce international, le timbre-poste s’impose en 1840 au Royaume-Uni comme une solution à ces divers problèmes. Désormais, les courriers seront affranchis de taxes par l’expéditeur au moment de l’envoi ; d’où l’expression « affranchir le courrier ». Cette révolution s’est accompagnée d’une simplification des tarifs (tarif unique quelque-soit la distance). Une Union postale universelle a également été mise en place en 1874, remplaçant les accords bilatéraux entre pays pour l’envoi de courrier à l’étranger.

Le « franking privilege » des parlementaires américains

Le franking privilege, qui inspire la légende du petit Franckie, est quant à lui une pratique mise en place à la Chambre des Communes du Royaume-Uni dès 1653, avant d’être transposée dans la jeune République américaine à la fin du XVIIIe siècle. Elle permet aux membres du Congrès et à leurs administrés de bénéficier d’une franchise postale – c’est à dire de correspondre gratuitement par courrier.

A l’époque, seule la signature d’un parlementaire suffisait. En utilisant des tampons, certains arrivaient à envoyer jusqu’à 3.000 lettres par jour au XIXe siècle !

Avec le temps, ce privilège est demeuré, même si des limites se sont imposées pour contenir les envois de masse.

Pour l’heure, il n’a pas été étendu à l’ensemble de la population américaine … pas plus que le petit Frankie ou le généreux Frank n’existent !

Sources

« Timbre-poste », article Wikipédia.

« Il est possible d’envoyer des cartes postales gratuitement mais personne ne sait pourquoi [vidéo]». Le Monde.fr, Août 2016.

Serge Bonnet et Antoine Delestre. « Les chaînes magiques [lire en PDF] ». Revue des Sciences Sociales de la France de l’Est, 1984.

Matthew E. Glassman. Franking privilege : Historical development and options for change [lire en PDF]. Congressional Research Service, 2015.

Jean-Loïc Le Quellec. « Photocopiez la copie de la lettre 25 fois… Chaînes de lettres, Folk-Lore, Copy-Lore et Photocopy-Lore ». Aguiaine, mars 1994.

Barbara Mikkelson. « Franking privileges ». Snopes, Mars 2013.

Gautier Veltri. « STS est un mythe (Student to Student) [vidéo] ». YouTube, 13 octobre 2017.

Jacques Vernes. « La franchise postale en débat ». Yanous, Mars 2016.

Pour aller plus loin

Un épisode de C’est pas sorcier expliquant le parcours d’une lettre à La Poste [vidéo].

« Foi et supersitions pendant la Première Guerre mondiale : les chaînes de prières » sur Spokus.

8 réponses sur « STS, un « code secret » pour envoyer gratuitement des cartes postales ? »

Bonjour,
merci pour votre remarque.
Je pense que la perception de la taxe revient au final plus cher que de laisser quelques cartes « filer », et que l’on ne peut pas comparer le travail de postier d’il y a 30 ans, où les cadences étaient, je pense, moins élevées et plus centrées sur la distribution du courrier que des colis. Si, de plus, l’emploi de cette « astuce » reste marginale dans un contexte où l’envoi de courriers s’effondre, je peux comprendre que l’intérêt d’une chasse aux taxes soit moindre.
Par ailleurs, nous avons réalisé le test sur des cartes postales, mais il est probable que cette astuce fonctionne moins sur des enveloppes (pas trace d’ailleurs de cas, sur internet, où STS ait fonctionné avec des enveloppes), où le contrôle du bon affranchissement se doit d’être plus rigoureux, étant donné que le tarif augmente avec le poids (une carte postale aura toujours un poids inférieur à 20g).
Enfin, comme vous avez pu le constater à la lecture de l’article, certaines cartes taxées ont été retenues par la Poste.
Bonne journée,
Eymeric Manzinali

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