L’historienne belge Marie Peltier est spécialiste de la narration autour du conflit syrien et des théories du complot. Dans Obsession (éditions Inculte, 2018), elle décrit les mécanismes d’un récit complotiste devenu mainstream. Loin de ne concerner qu’une minorité de personnes, la sémantique complotiste est, selon elle, aujourd’hui reprise par le monde politique, à l’heure où le citoyen doute des médias et des institutions démocratiques.
Ce qui frappe à la lecture de votre livre, c’est qu’on a tendance à penser que le complotisme est l’affaire d’une minorité de personnes qui adhèrent à des théories obscures sur les attentats du 11 septembre ou les chemtrails. Or, vous nous faites prendre conscience dans Obsession que les mécaniques du récit complotiste et la défiance vis à vis des institutions démocratiques sont aujourd’hui largement répandues dans le débat public. Comment en est-on arrivés là et quelles sont les principales caractéristiques de ce complotisme contemporain ?
J’appréhende le complotisme comme un imaginaire collectif. Selon moi, la grande erreur de la lutte contre les théories du complot, c’est justement d’avoir cru, et de nous faire croire, qu’elles ne concernent qu’une minorité de personnes farfelues qu’il faudrait remettre dans le droit chemin, sans nous interroger sur notre propre discours. Or, depuis une quinzaine d’années la sémantique complotiste a énormément gagné de terrain, jusqu’à être reprise sans honte par le Président de la République.
Dans mon premier ouvrage [L’ère du complotisme : la maladie d’une société fracturée. Les Petits matins, 2016], je faisais remonter la séquence politique que nous traversons – l’ère d’un complotisme devenu mainstream – au 11 septembre 2001. Les attentats du World Trade Center ont été un événement traumatique. Après la Seconde Guerre mondiale, on a longtemps cru que l’Occident ne serait plus jamais attaqué. Cet événement du 11 septembre a marqué la fin de ce sentiment. Il a laissé poindre l’idée que la guerre pourrait revenir.
Aux attentats sont venus se greffer une série de discours et de contre-discours qui ont voulu lui donner du sens. Deux lignes narratives se sont constituées :
- La ligne civilisationnelle, mise en branle notamment par l’administration Bush, et qui repose sur une polarisation civilisation / barbarie : « Nous sommes les lumières, la civilisation, et nous sommes attaqués par les barbares », avec la définition d’un nouveau pacte : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». Cette ligne civilisationnelle laisse entendre que l’Islam menace la vie en société.
- La ligne anti-système, anti-impérialiste, anti-américaine et anti-sioniste prétend faire face à la ligne civilisationnelle. Elle reporte la faute sur le système démocratique, et pointe ses incohérences. Le 11 septembre 2001 a effectivement justifié une série de mesures politiques injustes et contraires à l’idéal démocratique, notamment l’intervention en Irak (2003), symbole du mensonge de l’administration Bush.
Ces deux lignes narratives ont été réactivées par le biais d’acteurs de propagandes, qui ont utilisé l’événement du 11 septembre 2001 pour proposer des contre-discours, qui venaient donner un nouveau récit sur les événements et s’opposer à un discours qualifié de mainstream. Avec Trump, ce discours alternatif est arrivé au pouvoir. S’il se présentait comme dissident et rebelle, on voit qu’il est aujourd’hui une arme politique hostile à l’émancipation. Et tous les politiques s’en servent !
Les exemples dans l’actualité récente sont nombreux. Je pense à Jean-Luc Mélenchon qui, sous le coup d’une perquisition, parle d’une opération politique destinée à faire taire une voix gênante pour la démocratie et commanditée par l’Élysée. Mais aussi aux attaques régulières de Macron contre la presse, par exemple au moment de l’affaire Benalla. A partir de quand les responsables politiques ont commencé à exploiter cette ligne anti-système ?
Il y a eu une rupture à partir de Trump qui a totalement décomplexé cette posture, même si le phénomène est progressif. Le fond de commerce du président américain, c’est les attaques permanentes contre les journalistes et les institutions démocratiques, ainsi que le conspirationnisme. L’imaginaire complotiste était également perceptible dans les discours de tous les candidats à la présidentielle française. On se souvient particulièrement de Fillon, qui s’est présenté comme la victime d’une cabale. Macron a lui aussi épousé la posture anti-système en affirmant que le système avait voulu le tuer et qu’il était un résistant. Plus récemment, il a attaqué de manière très décomplexée les journalistes. Il y aurait également beaucoup à analyser sur la polémique autour du Maréchal Pétain. Macron dit notamment être contre la « police de l’histoire », expression qui fait écho au concept de « police de la pensée » forgé par l’extrême droite. Quant à Mélenchon, il a eu l’intelligence de comprendre il y a des années déjà que cette posture anti-système était « bankable » ; la construction et le nom même de la France Insoumise en témoignent.
Pendant la campagne de Mélenchon, la France Insoumise a créé son propre écosystème de médias : je me souviens de Radio insoumise mais aussi d’un équivalent du Décodex, baptisé Décodex Insoumis et de leur plateforme de fact-checking, destinée à contrer les infos qui allaient à l’encontre de leurs idées.
Tout à fait. Ils ont totalement épousé cette binarisation récit alternatif / récit mainstream. Ils se placent dans une posture alternative et anti-médias assez classique, avec cette idée que les médias nous mentent, qu’ils sont aux mains de quelques riches et qu’il faut créer un équivalent alternatif qui rétablit la vérité. Même si l’anti-complotisme se focalise beaucoup sur Mélenchon, toutes les formations politiques basculent vers ce type de posture, y compris En Marche, qui attaque par exemple les journalistes sous le même angle que Mélenchon.
Il y a quelque-chose de contradictoire dans ce discours anti-média. C’est l’exemple de Trump qui congédie un journaliste de CNN pour une questions gênante et, quelques jours plus tôt, fait monter un présentateur de Fox News à la tribune d’un de ses meetings pour le défendre. On pourrait au fond adhérer à la critique faite par certains politiques contre les médias. Je suis d’ailleurs très critique sur certains points du fonctionnement de la presse, notamment la manière de traiter l’actualité scientifique [ça a été le sujet de notre interview avec le journaliste Florian Gouthière]. Mais ça ne semble pas être la préoccupation de Trump, Macron ou Mélenchon. On comprend qu’ils manipulent surtout cette haine anti-médias à leur avantage.
Ce discours anti-médias est devenu pour les politiques une arme qui, comme vous dites, est utilisée pour discréditer les médias quand ça ne les arrange pas, et donner du crédit à leur parole quand les médias vont dans leur sens. C’est parfois totalement incohérent ! Vous m’excuserez de revenir une nouvelle fois sur la France Insoumise, mais on comprend que cette posture anti-média n’est qu’un moyen de gagner des voix quant on voit, par exemple, Raquel Garrido devenir chroniqueuse chez Ardisson ou Sophia Chikirou utiliser l’émission de Ruth Elkrieff pour se justifier après les perquisitions à la France Insoumise ! Si cette posture fait mouche dans les esprits, c’est que la défiance à l’égard des médias, mais aussi de la justice et du pouvoir politique est aujourd’hui très grande.
La réaction des médias, notamment après l’élection de 2016, a été de créer des sites de fact-checking, qui reviennent à un fondamental du journalisme, mis à mal ces dernières années : la vérification des informations. Or, ces sites sont particulièrement mal vus par ceux qui ne font plus confiance aux médias traditionnels. Pourquoi ?
La posture anti-médias est une posture de croyance. C’est dire aux médias : « on ne vous croit pas ». Et ce, peu importe ce qu’ils disent : le prérequis de la confiance est rompu. En semblant dire « Voici la vérité », les sites de fact-checking réintroduisent de l’autorité. Ils sont vus comme une réaction du système. Or les complotistes souhaitent justement s’affranchir de ce rapport de dogme et d’autorité.
Le problème, à mon sens, n’est pas tant le rapport aux faits, mais le reproche qui est fait aux médias de ne pas assumer qu’ils ont un point de vue sur les faits : « Vous faites semblant de faire du factuel, mais vous défendez tels intérêts ». Et c’est vrai ! On défend toujours une vision de la société quand on parle, et ce n’est pas grave, ce n’est pas mal, il faut l’assumer ! Il y a une grande demande de transparence : il faut oser dire pourquoi on dit les choses et quelle vision du monde on défend. Une des choses qui a fait le plus de dégâts à cet égard, et j’en parle dans Obsession, c’est le dogme de la neutralité, le fait que tout le monde souhaite paraître neutre. Il a été surréaliste de constater, par exemple, Le Média reprendre la rhétorique du fact-checking pour refuser la diffusion d’images de la Syrie : « Tant qu’on n’est pas sûrs des faits, on ne peut pas les publier ». En réalité, ils utilisaient cet argumentaire là pour défendre une vision idéologique : Le Média ne souhaitait pas prendre position à l’égard des crimes de Bachar Al-Assad. Si on reste dans l’esprit du fact-checking sans assumer la composante idéologique inhérente à toutes nos prises de position, on ne réinstaure pas le dialogue.
Enfin, les sites de fact-checking, et l’anti-complotisme de manière plus générale, se concentrent principalement sur le comment et non sur le pourquoi. Pour pouvoir contrer les discours complotistes, il faut comprendre pourquoi ils ont émergé, quelles sont les logiques à l’oeuvre et les raisons de leur succès. C’est le travail que j’essaye de faire avec mes livres.
La journaliste Élise Lucet est épargnée dans ce climat anti-médias. Le public semble se lasser d’une forme de journalisme qui court après l’immédiateté ou le commentaire des « petites phrases » des politiques. Les émissions qui, comme Cash Investigation, font un travail d’enquête pour révéler les secrets du monde des affaires, sont plébiscitées. On peut s’en réjouir, car elles répondent à un vrai désir de transparence. Cependant, le ton de l’émission créée parfois le malaise : il sert une vision assez négative du monde, où les « grands », entreprises et labos, ont forcément des intentions néfastes et nuisent au plus grand nombre dans leur quête de profit et de domination.
Je suis très critique vis-à-vis de ce qu’on appelle le journalisme d’investigation. Il participe d’un imaginaire assez similaire à celui du complotisme – l’idée notamment que la vérité est cachée – et fait appel à une rhétorique que j’évoque dans mon livre : celle du raisonnement par intérêt. D’après ce raisonnement, il y aurait toujours, derrière le réel, des logiques d’intérêt. Or je suis convaincue que le réel est plus complexe. Il y a une part de mauvaises décisions, de maladresses, … etc. Et au quotidien, l’intérêt n’est pas notre seul moteur.
A la base des investigations des journalistes, il y a souvent les fuites d’une ou deux personnes à la presse, qui vont permettre après enquête de découvrir un scandale. Or le journalisme ne peut être réduit à cela. Il faut aussi pouvoir parler des difficultés des gens, et ne pas leur faire croire qu’il y a toujours un coupable dans l’ombre à leurs malheurs et que tout n’est que le fruit d’un jeu de puissants. C’est en partie vrai, mais ça ne dit pas tout du réel non plus.
Sans parler de Cash Investigation, il arrive que ces émissions flirtent avec le conspirationnisme. Pour revenir à cette logique de fuites, il y a par exemple eu cet épisode d’Un œil sur la Planète qui se proposait de révéler tout ce qui nous serait « caché » sur la Syrie. Or le réalisateur s’était laissé totalement berné par quelques proches du régime d’Assad et l’émission épousait complètement la propagande de Damas. Cette posture, qui est de penser que la réalité est cachée, peut conduire à ce type de dévoiements. Le régime de Damas en a particulièrement joué, laissant par exemple croire que les manifestants anti-Assad étaient des américains dont le but était de construire un pipeline. Ces « enjeux cachés de la guerre » peuvent très clairement servir à un agenda conspirationniste.
Vous dites justement dans votre livre que Bachar Al-Assad a joué sur les deux postures du récit complotiste, la posture civilisationnelle et la posture anti-système.
Il faut le reconnaître que Bachar Al-Assad a excessivement bien réussi sa communication à l’égard de l’opinion publique européenne en identifiant ces deux haines. Il a joué à la fois sur la posture anti-système, « les médias vous mentent », « je suis le résistant à l’Amérique » … etc. Et il s’est présenté comme le leader occidental, cravaté, faisant face à une horde de barbares. D’ailleurs, il en est venu à dire que les islamistes travaillaient pour les américains : tout était relié ! Il a offert un mode de communication très inspiré par la rhétorique post-11 septembre 2001. Ce n’est pas pour rien que le grand idéologue des théories du complot sur le 11 septembre, Thierry Messan, vit aujourd’hui à Damas et est un conseiller proche d’Assad. Le problème étant que ce basculement sémantique, ces deux réflexes narratifs et rhétoriques, sont aujourd’hui en train de remonter vers les personnes au pouvoir dans nos pays … C’est inquiétant !
La fascination d’une partie de la population pour la figure de l’homme fort à la tête de l’État est un autre point d’inquiétude. Je pense à Poutine ou Erdogan qui séduisent une partie des français, ou au fait que Macron ait pu jouer en début de mandat sur des symboles comme la Pyramide du Louvre, le pouvoir jupitérien. Est-ce le symptôme d’une société qui ne croit plus en l’idéal démocratique ?
Je constate une déception, plutôt qu’un rejet, à l’égard des promesses de la démocratie, et en la capacité de notre système politique à être à la hauteur d’idéaux comme l’égalité, la justice ou la transparence. On le voit d’une façon très différente dans cette fascination pour le tirage au sort, qui repose sur une vision totalement fantasmée de la Grèce antique. Parallèlement, nous avons perdu nos repères sur ce qui définit une démocratie ou une dictature.
Cette confusion politique est en grande partie le fruit d’acteurs de propagande comme Russian Today, qui se sont beaucoup banalisés. Poutine a beaucoup joué sur notre déception à l’égard de l’idéal démocratique, pointant ses failles : « Voyez, vos politiques ne sont pas à la hauteur de ce que vous exigez d’eux ! ». Tout se passe comme si, à partir de cette déception, il avait réussi à vendre sa propre posture autoritaire … Pour revenir à la Syrie, Al-Assad a clairement dit : « Votre pouvoir vous ment, croyez-moi, moi ! Je vais vous donner la version alternative des faits ». Une version au service d’un régime sanguinaire, et dans laquelle beaucoup se sont trouvés piégés.
Enfin, on constate un effritement du narratif des libertés et des droits humains qui s’était constitué dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale.
Vous parlez dans votre livre de l’abandon de cette idée de défense des droits humains au profit d’une vision cynique et matérialiste des relations internationales, que vous qualifiez de « géopolitique ».
Tout à fait, c’est un discours que Macron s’est d’ailleurs approprié. Il a adopté une posture très géopolitique et « réaliste », en rupture totale avec la tradition diplomatique française. On peut reprocher beaucoup de choses à Hollande, mais il continuait, dans son discours international, à défendre les droits de l’Homme – même si il a peu fait sur la question de la Syrie. Ce discours « réaliste », partagé par Poutine ou Assad, a beaucoup gagné les esprits. Il est la logique des puissants, des plus forts ; c’est un reniement assez abyssal de notre tradition européenne.
J’en viens aux réseaux sociaux. Ils sont le média privilégié des récits complotistes d’après votre livre.
Les réseaux d’extrême-droite ont compris avant tout le monde le potentiel de diffusion d’internet. Ils utilisent depuis longtemps le format image et les capsules vidéos, alors que ce dernier usage n’est répandu dans les médias que depuis 2 ou 3 ans. Ils ont une grande avance sur les acteurs démocratiques.
Les réseaux sociaux poussent, quant à eux, à la polarisation et privilégient une pensée binaire au détriment de la nuance et du fond, et tout s’y joue dans l’immédiateté. J’ai voulu avec mon livre analyser un certain nombre de polémiques prenant place sur ces réseaux ; les commentaires et posts sur Facebook ou Twitter constituent, d’ailleurs, la matière première d’Obsession ! J’ai constaté que les choses se scénarisent rapidement, et que l’on retrouve, derrière chacune de ces polémiques, les mêmes obsessions, avec la formation de deux pôles qui s’invectivent, comme dans l’affaire Mennel. Cette candidate à The Voice était apparue vêtue d’un voile, ce qui posait problème à ceux qui l’ont attaquée. Bien évidemment, ce dernier point n’était pas avouable. Son Facebook privé de gamine a donc été scruté, et des propos complotistes, anciens, ont été utilisés pour la discréditer. Pour avoir travaillé avec des adolescents, je peux vous dire qu’il s’agissait là de propos habituels – pas intelligents, certes – mais de son âge. Ça a marché, car elle a dû quitter l’émission. Mais beaucoup de gens ont compris qu’il s’agissait là de racisme.
Enfin, et notamment sur Twitter, nous sommes tous sur un pied d’égalité : un citoyen lambda peut interpeller un président. C’est positif, ça permet de libérer la parole, mais cette absence de hiérarchisation crée souvent un vaste champ où tout le monde s’insulte.
L’affaire Mennel illustre une logique que vous décrivez dans votre livre, cette recherche des incohérences d’une personne à travers les traces qu’elle a pu laisser dans la mémoire numérique, dans le but de l’attaquer. Alors que souvent, ce que nous postons sur les réseaux sociaux est très spontané, un peu comme lors d’une conversation à l’oral.
Oui, j’appelle cela l’ère du discrédit. C’est une logique d’ultra-personnalisation où, au lieu de se focaliser sur le débat d’idées, on attaque la personne, traquant ses incohérences au travers de propos maladroits ou sortis de leur contexte. C’est très étouffant quand on souhaite s’exprimer sur ce format là, et nous en faisons tous les frais. Ce climat a gagné du terrain car, sur Twitter ou Facebook, nous sommes tous un profil, un individu ; ça va de pair avec le narcissisme des réseaux.
Une personne peut se contredire, faire des erreurs, évoluer. Mais dans le récit complotiste, tout se passe comme si les individus devaient être des monolithes cohérents, sans faille ni erreur.
Exactement, c’est une logique à la fois très focalisée sur l’individu et ses incohérences, mais qui ne prend pas en compte la complexité humaine. Nous sommes tous le fruit d’un cheminement. Sur la Syrie, par exemple, j’ai beaucoup appris et si on retrouvait des propos que j’ai pu tenir il y a dix ans, j’en serais probablement très surprise ! Le récit complotiste a une vision très monolithique et essentialisante, où l’individu est réifié, réduit à une caractéristique fantasmée. Il est attaqué au nom du symbole qu’il représente. Il n’y a pas de place pour l’humain. Mennel est réduite à son voile, lui même vu comme un symbole islamiste.
En conclusion, quel conseil donneriez vous aux personnes qui veulent lutter contre ces récits au quotidien ? Comment redonner de l’humain ?
Je crois beaucoup au travail sur soi-même. Il faut bien sûr lutter contre les discours de haine mais travailler également sur sa propre parole, pour répondre aux exigences – très grandes – d’éthique et de transparence. La rencontre est également un moyen de quitter nos discours préfabriqués. Lorsque vous rencontrez un réfugié syrien, et qu’il vous raconte avoir perdu sa famille dans un bombardement, ou les tortures qu’il a subi du régime, votre posture anti-système ne tient pas une seconde ! Au delà de Twitter, vous vous rendez compte, enfin, qu’il n’y a pas que ce climat exacerbé, polarisé.
Il y a une forte demande de parole vraie, incarnée, et les médias devraient laisser la place à ce type de parole, qui permet de générer de vrais déplacements. Quelques mois après la polémique, la jeune Mennel a été invitée dans les médias. Elle a pu raconter ce qu’il s’était passé, pourquoi elle a eu des propos complotistes, comment elle a vécu les choses. Cela a permis de remettre de l’humain au cœur du récit. A l’occasion de mes conférences, je constate par ailleurs que quelque-chose s’amorce lorsque je parle de manière vraie, en étant claire sur mon propre parcours. Dans ce climat de discours-contre discours, il y a finalement peu de parole authentique !
Il y a d’autres signes d’espoirs. J’ai voulu terminer mon livre là dessus. Depuis quelques semaines, j’observe des déplacements intéressants. A l’occasion des attentats de Pittsburgh, j’ai constaté que les camps habituels ne se formaient pas. Ce drame a touché beaucoup de gens, y compris parmi les musulmans, nombreux à exprimer leur solidarité et à organiser des collectes pour les victimes juives. Il y a toute une série d’acteurs qui prennent conscience que cette polarisation dans laquelle on les entraîne ne colle pas à la réalité, notamment parmi des minorités que l’on cherche, sans cesse, à faire s’affronter.
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Livre : Marie Peltier, Obsession : dans les coulisses du récit complotiste aux éditions Inculte, 2018. 128 pages, 15,90 €, ISBN : 979-10-95086-89-5.
2 réponses sur « Marie Peltier. « Le discours complotiste est une arme dont se servent tous les politiques aujourd’hui » »
[…] Hier soir, un homme a ouvert le feu près du marché de Noël de Strasbourg, faisant trois morts et douze blessés. Les interprétations complotistes des événements, dénonçant l’implication du gouvernement dans les attentats, n’ont pas manqué d’apparaître sur les réseaux sociaux. Un phénomène qui n’a, hélas, rien de surprenant, à l’heure où la sémantique complotiste est devenue « mainstream ». […]
[…] On leur fait croire qu’ils savent quelque chose, alors qu’ils ne savent rien de la vraie maçonnerie… "Un fait, journalistiquement établi, a moins de véracité qu’un fait ou une opinion qui aura été liké par un nombre important d’internautes. Mais nous aussi, les médias, avons notre part de responsabilité. Complot. Marie Peltier. "Le discours complotiste est une arme dont se servent tous les politiques aujour…. […]