Victimes d’une mauvaise réputation, les chiens noirs ont-ils moins de chances d’être adoptés ? C’est la thèse de nombreux refuges et associations de protection animale, qui parlent d’un véritable « syndrome du chien noir ». En cause notamment, leur apparence mais aussi leur place négative dans la culture et le folklore européens. Dans les faits, l’existence de ce « syndrome » reste difficile à mettre en évidence.
« Black dog syndrome »
En France et dans les pays anglo-saxons, la presse, les SPA et refuges pour animaux alertent régulièrement les potentiels adoptants sur les discriminations dont seraient victimes les chiens noirs à l’adoption. Ayant l’honneur d’une page Wikipédia depuis 2008, l’expression « black dog syndrome » ou « big black dog syndrome » est apparue, probablement au début des années 2000, pour qualifier le phénomène :
Crée en 2004, le site Black Pearl Dogs.com était particulièrement populaire à cette époque. Il est né de l’initiative de Tamara Delaney en 2004. L’auteure raconte avoir été confrontée à ce syndrome lorsqu’elle fut chargée de trouver une famille pour un chien noir, sans succès. Ses contacts avec de nombreux refuges auraient confirmé son impression première, et inspiré la création d’un site chargé de combattre les préjugés associés aux chiens noirs. Black Pearl Dogs jouait également un rôle d’intermédiaire entre refuges et adoptants. Hors ligne depuis 2018, il est aujourd’hui partiellement accessible sur Internet Archive.
En 2009, le site français Seconde Chance, qui fédère « les annonces de tous les organismes œuvrant dans le secours aux animaux » lance l’opération « Adoptez une perle noire ». Elle se matérialise aujourd’hui encore par un label distinguant les chiens et chats noirs à l’adoption. Des shootings glamour, une meilleure mise en valeur des animaux grâce à la présence de jouets dans les cages ou de colliers colorés, figurent parmi les solutions adoptées par les refuges face au « syndrome ».
Moins photogéniques, les chiens noirs souffriraient d’après ces sites d’une apparence plus générique que leurs compères bicolores, jaune ou bleu merle. Leur pelage masquerait leurs expressions faciales, et les rendrait plus difficilement visibles la nuit ; ces attributs contribuant à leur réputation d’agressivité. Enfin, le chien noir occupe une place globalement négative dans la culture européenne et anglo-saxonne. Il a par exemple été associé à un spectre dont on retrouve de nombreuses traces dans le folklore anglais des XIXe et XXe siècle. Ce fantôme du chien noir a inspiré les œuvres littéraires de l’époque. Le Sinistros et le personnage de Sirius Black dans Harry Potter en sont une incarnation plus récente. Enfin, le chien noir est communément utilisé comme métaphore pour qualifier de manière imagée les troubles dépressifs.
Lire la suite sur Spokus : Du chien-fantôme au Sinistros : le chien noir dans le folklore anglais
Le « black dog syndrome » dans les faits
Ces représentations auraient, d’après les défenseurs du « black dog syndrome », une influence sur l’adoption des chiens noirs. Reste à déterminer si des études ou des statistiques d’adoption parviennent à mettre en évidence cette discrimination. Interrogés, le site Seconde Chance et la SPA de Paris, qui fédère 75 établissements, précisent ne pas détenir de chiffres permettant d’évaluer les chances d’adoption des chiens noirs par rapport à leurs congénères. Les difficultés rencontrées à l’adoption pour cette catégorie de canidés remonteraient toutefois régulièrement des refuges, de leurs employés et bénévoles. Aux États-Unis, la situation est similaire.
Les études sur le sujet sont peu nombreuses, et donnent des résultats contrastés. La plupart sont menées aux États-Unis, à partir de données d’adoption recueillies dans quelques refuges, sur plusieurs mois ou années.
Quelques-unes de ces études parviennent à montrer des différences à l’adoption pour les chiens de couleur noire. L’étude menée par Kay au Canada (2018) révèle des taux d’adoption significativement inférieurs pour les chiens noirs, tout comme l’étude de Diesel (2008) au Royaume-Uni. Dans cette dernière, les taux d’adoption des chiens noirs ne diffèrent toutefois guère de ceux constatés pour les chiens bringé ou noir & blanc. L’étude de Posage (1998) montre une préférence des adoptants pour les robes claires. Les résultats des études de DeLeeuw (2010) et Sinski (2016) sont quant à eux non-significatifs, bien qu’ils révèlent des chances d’adoption légèrement plus faibles pour les chiens noirs.
Par ailleurs, d’autres études fournissent des résultats contradictoires. Celle menée par Merry Lepper (2002) relève que les chiens bringé ont des chances moindre d’être adoptés. Ce constat se retrouve dans l’étude de Svoboda et Hoffman (2015), qui montre une préférence pour les chiens noirs dans un des deux échantillons. Dans le plus important des refuges étudiés (10.137 chiens), situé au Nord-Ouest des USA, il apparaît effectivement que les chiens beige, gris et noirs sont préférés par les adoptants : 6 à 6,5 jours s’écoulent en moyenne entre leur mise à l’adoption et leur départ, contre presque 10 jours pour les chiens bringé. Plus restreint, l’échantillon du deuxième refuge (3.662 chiens) montre une préférence pour les chiens blancs et beige, les chiens noirs et bringé fermant le ban.
Enfin, la couleur n’apparaît pas comme un facteur déterminant dans les études de Wells (1992), Protopopova (2012), Brown (2013), Patronek et Crowe (2018).
La race, l’âge et la taille des chiens ont plus d’influence
En réalité, la race, l’âge et la taille des chiens ont une influence bien plus importante sur leurs chances d’adoption. Les petits chiens, adoptés jeune semblent préférés : en témoigne le succès des chiens toy. Des races comme les pitbulls souffrent, par ailleurs, d’une discrimination assez élevée à l’adoption : ils ont 81,4 % moins de chances de trouver un maître que les retrievers, d’après les données recueillies par Jennifer Sinski (2016) dans un vaste refuge du Kentucky.
Le faible nombre d’études ne permet, toutefois, pas de trancher définitivement sur l’inexistence de ce « syndrome ». Chacune d’entre-elles a par ailleurs été menée dans un ou plusieurs refuges très localisés. Les cultures locales en matière d’adoption peuvent jouer. Seule une étude nationale permettrait de déterminer si les chiens noirs sont plus universellement désavantagés dans les choix des adoptants. C’est à chaque refuge, enfin, d’évaluer si la promotion des chiens de couleur noire à l’adoption est pertinente, d’après Christy L. Hoffman, professeure en comportement animal au Canisius College de Buffalo (New-York, USA) :
« Si un refuge s’investit dans la promotion des chiens noirs alors que ces chiens ont, en réalité, des chances similaires à l’adoption que ceux qui ne sont pas mis en avant, alors ces ressources pourraient être mieux utilisées, pour d’autres animaux qui attirent moins l’attention ».
Sources
« Black Dogs Face a Hard Choice at Shelter ». The Bark, n°35 (2006). https://thebark.com/content/black-dogs-face-hard-choice-shelter.
Brown, William P., Janelle P. Davidson, et Marion E. Zuefle. « Effects of Phenotypic Characteristics on the Length of Stay of Dogs at Two No Kill Animal Shelters ». Journal of Applied Animal Welfare Science: JAAWS 16, no 1 (2013): 2‑18. https://doi.org/10.1080/10888705.2013.740967.
DeLeeuw, Jamie L. « Animal Shelter Dogs: Factors Predicting Adoption versus Euthanasia », 2010. https://soar.wichita.edu/handle/10057/3647.
Diesel, G., D. U. Pfeiffer, et D. Brodbelt. « Factors Affecting the Success of Rehoming Dogs in the UK during 2005 ». Preventive Veterinary Medicine 84, no 3‑4 (15 mai 2008): 228‑41. https://doi.org/10.1016/j.prevetmed.2007.12.004.
Garrison, Laurie, et Emily Weiss. « What Do People Want? Factors People Consider When Acquiring Dogs, the Complexity of the Choices They Make, and Implications for Nonhuman Animal Relocation Programs ». Journal of Applied Animal Welfare Science 18, no 1 (2 janvier 2015): 57‑73. https://doi.org/10.1080/10888705.2014.943836.
Kay, Aileigh, Jason B. Coe, Ian Young, et David Pearl. « Factors Influencing Time to Adoption for Dogs in a Provincial Shelter System in Canada ». Journal of Applied Animal Welfare Science 21, no 4 (2 octobre 2018): 375‑88. https://doi.org/10.1080/10888705.2018.1436917.
Lepper, Merry, Philip H. Kass, et Lynette A. Hart. « Prediction of Adoption Versus Euthanasia Among Dogs and Cats in a California Animal Shelter ». Journal of Applied Animal Welfare Science 5, no 1 (1 janvier 2002): 29‑42. https://doi.org/10.1207/S15327604JAWS0501_3.
Patronek, Gary J., et Abbi Crowe. « Factors Associated with High Live Release for Dogs at a Large, Open-Admission, Municipal Shelter ». Animals : an Open Access Journal from MDPI 8, no 4 (28 mars 2018). https://doi.org/10.3390/ani8040045.
Posage, J. M., P. C. Bartlett, et D. K. Thomas. « Determining Factors for Successful Adoption of Dogs from an Animal Shelter ». Journal of the American Veterinary Medical Association 213, no 4 (15 août 1998): 478‑82.
Protopopova, Alexandra, Amanda Joy Gilmour, Rebecca Hannah Weiss, Jacqueline Yontsye Shen, et Clive David Lawrence Wynne. « The effects of social training and other factors on adoption success of shelter dogs ». Applied Animal Behaviour Science 142, no 1 (15 décembre 2012): 61‑68. https://doi.org/10.1016/j.applanim.2012.09.009.
Sinski, Jennifer, Robert M. Carini, et Jonetta D. Weber. « Putting (Big) Black Dog Syndrome to the Test: Evidence from a Large Metropolitan Shelter ». Anthrozoös 29, no 4 (30 décembre 2016): 639‑52. https://doi.org/10.1080/08927936.2016.1228769.
Svoboda, H. J., et C. L. Hoffman. « Investigating the Role of Coat Colour, Age, Sex, and Breed on Outcomes for Dogs at Two Animal Shelters in the United States ». Text, novembre 2015. https://www.ingentaconnect.com/contentone/ufaw/aw/2015/00000024/00000004/art00014.
Wells, D., et P. G. Hepper. « The Behaviour of Dogs in a Rescue Shelter ». Text, août 1992. https://www.ingentaconnect.com/contentone/ufaw/aw/1992/00000001/00000003/art00004.