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Le fantôme du chien noir (Royaume-Uni)

Signe de mauvais présages, le chien noir est associé à de nombreuses apparitions fantomatiques dans les Îles Britanniques. Ces différents spectres nommés Gytrash, Padfoot, Black Shag … etc ont inspiré des œuvres littéraires des XIXe et XXe siècles ; en premier lieu Le chien des Baskerville de Sir Arthur Conan Doyle mais aussi Harry Potter. Le « chien noir » est également une expression populaire – à l’usage très riche ! – utilisée pour qualifier la dépression. Globalement sombre, l’image du chien noir dans le folklore est toutefois plus nuancée qu’elle n’y paraît.

Un célèbre chien-fantôme

L’ère victorienne se passionne pour le folklore régional. Dans ce contexte le chien noir, en tant qu’entité spectrale ou démoniaque, fera quelques apparitions dans des œuvres littéraires du XIXe siècle : Jane Eyre de Charlotte Brontë, et surtout Le chien des Baskerville de Sir Arthur Conan Doyle. Gytrash, Black Shag, Moddey Dhoo … les noms donnés à ce fantôme diffèrent selon les régions. Généralement plus grand qu’un chien ordinaire, touffu et les yeux rougeoyants, ce chien noir est l’objet de témoignages oraux et de chansons recueillis au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle par les folkloristes dans les Îles Britanniques. Il apparaît à proximité de certaines routes et lieux de passage, et annonce des événements funestes ; la maladie ou la mort généralement. Il peut-être l’incarnation d’une personne décédée, le fantôme d’un chien ou la forme prise par une sorcière ou le Diable (Brown, 1958). Il peut aussi être associé à des églises, des tombes ou des lieux de crime (Quaile, 2013). Bien qu’inquiétants, la plupart de ces chiens semblent être inoffensifs, note toutefois la folkloriste Theo Brown dans son article pour la revue Folklore (n°69, 1958) ; rare sont les cas où ils agressent les passants aux yeux desquels ils apparaissent.

Chien noir fantôme
Représentation du chien noir fantôme, par Spettro84 (source : Wikipédia). Dans les témoignages recueillis par Ethel H. Rudkin (1938), le chien noir est décrit comme « plus noir que la nuit ».

Depuis l’Antiquité, les chiens sont plus généralement associés à la mort et au passage vers l’au-delà ; qu’ils soient représentés comme les gardiens du monde des morts ou comme des psychopompes (des êtres chargés d’accompagner les Hommes dans la nuit de la mort). Entre autres exemples, nous pouvons citer le dieu funéraire Anubis, représenté comme un canidé noir et l’Enfer qui, dans la mythologie grecque, est gardé par le chien à trois-têtes Cerbère (Chevalier & Geerbrant, 1997).

Sirius Black et le Sinistros

Cet élément du folklore britannique a inspiré le Sinistros de la saga de J.K Rowling Harry Potter. Dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban (1999), la professeure de divination Sybill Trelawney semble distinguer ce chien noir dans des feuilles de thé :

Sinistros

« Le Sinistros, mon pauvre chéri, le Sinistros! s’écria le professeur Trelawney qui semblait choquée que Harry n’ait pas compris. Le gigantesque chien fantôme qui hante les cimetières! Mon pauvre chéri, c’est le pire des présages, un présage de mort ! »

Une prédiction qui fait écho à la présence d’un énorme chien noir, à l’aspect hirsute, que le héros apercevra à plusieurs reprises … avant de réaliser qu’il s’agissait de la présence bienveillante et protectrice de Sirius Black. Comme McGonagall, Sirius Black a effectivement la capacité de se transformer en animal ! Son nom est en cela évocateur. Sirius est le nom de l’étoile principale de la constellation du Grand Chien. Black évoque, bien entendu, la couleur noire.

En version originale, le Sinistros se prénomme Grim, qui pourrait être traduit par « sinistre » en français. C’est également le nom d’un esprit protecteur du folklore anglais et scandinave. Cet esprit est chargé de garder les cimetières contre la visite de profanateurs ou du Diable lui-même. Il existe sous différentes formes, dont celle d’un chien noir. Le surnom de Sirius Black, Padfoot en anglais (traduit par Patmol en français), évoque quant à lui l’un des nombreux noms attribués localement aux chiens fantôme du folklore britannique (Brown, 1958).

Une présence protectrice dans le Lincolnshire ?

La folkloriste Ethel H. Rudkin remarque, dans un article publié en 1938 dans Folklore, que les apparitions du chien noir dans le Lincolnshire ne sont pas perçues comme un mauvais présage par les habitants, contrairement aux autres comtés. Dans la majorité des témoignages le chien noir apparaît sur une route, à la gauche du témoin, avant de poursuivre son chemin et de disparaître. Bien que surpris, les témoins perçoivent le fantôme comme une présence protectrice, seulement visible par de « bonnes gens ». Selon l’historienne Sheilagh Quaile (2013), les mentions de chiens noirs protecteurs dans le folklore seraient plus nombreuses à l’aube du XXe siècle. Elle attribue cette évolution à un changement de regard sur les chiens. A la fin du XIXe siècle, la gent canine se structure effectivement en races définies ; c’est la naissance de la cynophilie. Par ailleurs, l’usage des chiens comme animaux de compagnie se généralise au XXe siècle.

Une métaphore pour la dépression

L’image du chien noir est très utilisée aujourd’hui par des patients dépressifs. Elle illustre avec une certaine distance la place occupée par la maladie dans leur vie.
Une vidéo de Matthew Johnstone (2012), diffusée par l’Organisation mondiale de la santé, montre la palette (très riche) d’émotions et de situations qu’elle permet d’exprimer :

On peut, d’après Megan McKinlay (citée par Quaile, 2013), retrouver une trace lointaine de cet usage dans une correspondance entre Samuel Johnson, James Boswell et Hester Thrale à la fin des années 1770). Il est toutefois probable que le « chien noir », en tant que triste compagnon, ait des origines plus lointaines encore dans la langue orale. Issue de leurs échanges la question « what will you do to keep away the black dog that worries you at home? » (« que vas-tu faire pour tenir à l’écart ce chien noir qui te tourmente ? ») sera, par la suite, reprise presque mot pour mot par l’écrivain Walter Scott dans son journal en 1826. C’est cependant Winston Churchill (1874-1965), atteint d’accès de maladie dépressive toute sa vie, qui popularisera l’expression.

Image à la Une : « An illustration from Arthur Conan Doyle’s The Hound of the Baskerville. The dog is shown in the foreground whilst behind it Sherlock Holmes and Dr Watson crouch behind a rock. The original illustration was created by Sidney Paget illustrations for the Strand Magazine, 1914 ». (source : British Library)

Sources :

Church-grim et Winston Churchill sur Wikipédia.

Chien dans Le dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant. Robert Laffont, 1997.

Brown, Theo. « The Black Dog ». Folklore 69, no 3 (1 septembre 1958): 175‑192. https://doi.org/10.1080/0015587X.1958.9717142.

Quaile, Sheilagh. « “The Black Dog That Worries You at Home”: The Black Dog Motif in Modern English Folklore and Literary Culture », 2013, 27.

Rudkin, Ethel H. « The Black Dog ». Folklore 49, no 2 (1938): 111‑131.

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