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Creepypastas, légendes et écritures du web

Légendes urbaines nées sur le web ou nouvelles formes de narration ? Apparues au milieu des années 2000, les creepypastas sont des récits terrifiants, d’origine anonyme et partagés comme vrais sur le web. Certaines, comme le Slenderman ou le syndrome de Lavanville, peuvent être considérées comme de véritables mythes contemporains.

A l’origine des creepypastas

Que vous soyez ou non un enfant du numérique, vous avez sans doute déjà reçu ces messages étranges, par fax ou par mail, copiés et collés d’une source inconnue, vous annonçant de terribles représailles si vous ne les transmettez pas.

Avant même l’avènement d’internet, la possibilité de reproduire et diffuser facilement des textes, grâce aux photocopieurs et aux fax a, effectivement, fait naître un véritable folklore, baptisé faxlore, xeroxlore ou photocopylore, constitué de créations amateures, de blagues, de légendes urbaines, de chaînes, copiées telles quelles et diffusées en masse.

Du xeroxlore aux copypastas

Cette circulation de textes anonymes va être démultipliée par la démocratisation du mail et  l’apparition des forums et réseaux sociaux. Les copypasta vont, en quelque-sorte, remplacer le photocopylore. De l’anglais copy-paste (copier-coller), le terme désigne effectivement des blocs de texte copiés et collés par des utilisateurs sur les forums. Ce néologisme, apparu en 2006, se distingue ainsi du spam, qui désigne des mails envoyés en masse et de façon automatique à des internautes sans leur consentement.

Des copypastas aux creepypastas

La creepypasta est, du moins à son origine, une copypasta horrifique, présentée comme vraie ; le terme en lui même est d’ailleurs une contraction de creepy (terrifiant, troublant) et de copypasta.

Transplantée dans un environnement dématérialisé où elle allait pouvoir adopter toutes les formes possibles, la creepypasta a toutefois donné naissance à des objets bien plus complexes : des images ou des vidéos hantées, autour desquelles un folklore numérique allait naître, né de l’interprétation et du décryptage d’une communauté de viewers. Ou encore des récits collectifs « augmentés », mettant la question du médium au second plan. Le médium étant au service d’une narration sinuant entre vidéos, images ou documents écrits.

Quelle convergence entre des formes de récit aussi différentes ? Que garde la creepypasta du discours de type rumoral ou légendaire des origines ? Face à une matière aussi dense et polymorphe, ces questions viennent naturellement à l’esprit du lecteur non-initié. Nous allons tenter d’y répondre.

Les creepypastas sont-elles des légendes urbaines nées sur le web ?

Why would anyone question the existence of a dragon? But today we are naturally skeptical. The key component of found footage is that on some level we have to think it is real. (Patrick Dane, Why Slenderman Works: The Internet Meme That Proves Our Need To Believe, source : Whatculture.com).

Creepypastas et légendes urbaines

Les légendes urbaines, en tant que récits transmis de manière orale, se caractérisent par leur brièveté et leurs personnages anonymisés et stéréotypés. En circulant de bouche à oreille, le récit se cristallise en une forme pouvant facilement être retenue par l’auditeur. Elle comporte par ailleurs des éléments susceptible de capter son intérêt (et d’assurer sa reproduction !) : une chute surprenante, des événements choquants ou extraordinaires.

Une autre des caractéristiques de la légende urbaine est de se présenter comme un histoire véridique. Elle est fréquemment racontée comme étant arrivée à « l’ami d’un ami ». Son récit comporte des indices de temps et de lieu qui varient suivant les contextes où elle s’implante (lorsqu’une légende passe d’un pays à l’autre par exemple).

Les creepypastas sont, au contraire, nées dans un environnement dématérialisé. Le copy-paste (le copier-coller) a remplacé le bouche à oreille. Le récit, pour être reproduit, doit seulement comporter des éléments – volontiers surprenants et extraordinaires – suscitant l’intérêt de celui qui le lit. On a par ailleurs affaire à des récits utilisant tous les médiums et ressources de leur environnement : vidéo, son, image, texte…etc. Et, pour les creepypastas basées essentiellement sur un texte, à des discours souvent plus longs et complexes que ceux des légendes urbaines.

Le Midnight man est, par exemple, une version de la légende et du jeu de Bloody Mary (légende qui consiste à appeler un certain nombre de fois Bloody Mary face à un miroir éclairé à la bougie pour voir apparaître son fantôme). Dans le Midnight Man, on a affaire à un rituel bien plus complexe que celui de Bloody Mary et dont la transmission serait quasiment impossible sous une forme exclusivement orale :

Le jeu doit impérativement commencer à 0h00, autrement ça ne fonctionnera pas. Le matériel requis comprend une bougie, une porte en bois, au moins une goutte de votre propre sang, un bout de papier, des allumettes ou un briquet, et du sel. Vous pouvez jouer à plusieurs, mais dans ce cas, chacun doit avoir cette même liste de matériel pour lui, et devront suivre ces étapes séparément. [Lire la suite sur Creepypasta From The Crypt]

Le sens du détail

La version originale d’un des plus célèbres creepypasta, celui d’une musique du premier jeu Pokémon qui aurait provoqué le suicide d’une centaine de jeunes japonais, est un autre exemple de la longueur et de la complexité des creepypastas.

Le récit atteint les 25.000 signes et est structuré comme une enquête. Sa plausibilité repose sur son accumulation de détails : l’entremêlement de personnages aux noms fictifs et réels, l’intégration d’indices au récit (tels que les notes retrouvées dans l’appartement d’un des programmateurs, Chiro, ou encore la lettre qu’il écrira avant son suicide), la description minutieuse des parties de Game Boy…etc.

Pour Tripoda de Kalaumachie, administrateur de Creepypasta From The Crypt, « il est essentiel que la creepypasta, pour être considérée comme telle, garde une dimension réelle : rien dans ce qui est présenté au receveur ne doit pouvoir s’opposer à ce que l’histoire soit potentiellement authentique. »

La narration repose sur des impératifs formels qui vont permettre au récit de prendre cette « dimension réelle ». Le point de vue omniscient sera proscrit au profit d’un point de vue interne ou externe. De même, on est proche d’un style journalistique ou de témoignage. Le style littéraire étant évité pour ne pas créer de distanciation entre le lecteur et le récit.

Un récit qui s’auto-documente

Mais la « dimension réelle » est surtout apportée par la capacité du récit à s’auto-documenter. Metro, une creepypasta d’urbex (pour urban exploration, activité qui consiste à explorer des lieux urbains désaffectés ou fermés au public) postée sur le site français Creepypasta from the crypt, en est un très bon exemple.

Elle repose, d’abord, sur une bonne connaissance et une description des tunnels et des « coulisses » du réseau de métro parisien qui laisse à penser que l’auteure les a réellement explorés. Elle se présente, ensuite, comme une succession de posts de blogs exhumés et repostés, faisant référence à des preuves visuelles – n’apparaissant pas dans Creepypasta From The Crypt – qui permettraient d’authentifier le récit si elles étaient retrouvées.

Leur simple évocation instille un doute chez le lecteur. Le narrataire est, par ailleurs, ici, la communauté de lecteurs du blog fictif de la narratrice. Toute la question de la véracité de cette creepypasta repose finalement sur l’existence ou non de cette pièce manquante :

Après avoir hésité pendant plus d’un mois et malgré vos avertissements, je suis donc retournée dans le SK. J’avais besoin de détails pour pouvoir poursuivre mes recherches. Vous m’avez notamment conseillé de traduire le texte écrit. Du coup cette fois-ci j’ai pensé à prendre mon appareil, histoire d’avoir des photos de meilleure qualité que celles que je pourrais prendre avec mon portable.

Preuves et traces ; documents visuels, sonores et textuels

Lorsque le médium utilisé est exclusivement le texte, les creepypastas sont émaillées de références à un système de documents visuels, sonores, textuels fictifs, que d’autres auteurs ou une communauté de lecteurs peuvent s’approprier pour « étendre » le récit originel. Une écriture qui caractérise à la fois cette quête d’une « dimension réelle », mais aussi un type de récit crée et né sur le web. A différents niveaux les creepypastas prennent la forme de récits multimédias et/ou transmédias.

Récits multimédias

Un récit multimédia concentre en une seule ligne narrative différents médias. C’est le cas de nombreuses creepypastas qui mêlent un récit essentiellement écrit à des photographies venant authentifier ce récit. Un Slenderman ? en est un exemple.

De nombreuses creepypastas naissent également autour d’un objet mystérieux : vidéo, photographie ou peinture, apparu sur le web ou par un intermédiaire sans que l’on en sache l’origine. Cet objet génère un travail d’explication ou d’interprétation, d’un auteur ou de toute une communauté en ligne, qui abouti finalement à un récit collectif.

La vidéo 11B-X-1371 en est un bon exemple. Apparue sur GadgetZZ.com, elle aurait été reçue de Pologne par courrier. Elle se présente comme une vidéo truffée de symboles cachés : images apparaissant dans le spectrogrammes, messages en morse, etc. Ces indices cachés ont mobilisé une communauté de chercheurs passionnés pour en décrypter le message et en trouver l’origine (inconnue à ce jour), aboutissant à un récit qui se lit comme une enquête. L’ensemble formant autant de pièces d’un puzzle que chaque lecteur peut assembler et réinterpréter.

Récits transmédias

Les creepypastas sont, ensuite, les héritières d’une culture transmédia, où des franchises se déclinent en différentes lignes narratives, formant chacune à elles seules un nouveau média. Une culture qui se caractérise par la mobilisation d’une communauté active de fans. Se réappropriant l’univers fictionnel de la franchise, cette communauté va développer à son tour de nouvelles lignes narratives. Au travers des fan-fictions, plus généralement du fan-art mais également d’un travail de documentation aboutissant à des sites ou à des guides.

La franchise Stargate s’est ainsi déclinée en plusieurs films, en séries télévisées et en série animée. Mais également en différents jeux de rôles et jeux-vidéos. Ces médias respecteront l’univers fictionnel de départ de la franchise tout en présentant des personnages et intrigues partiellement indépendantes. La franchise fédère une communauté qui se réunit à l’occasion de conventions, et qui a développé toute une littérature à partir de l’univers de Stargate, sous forme de fan-fictions. Elle offre un univers immersif et quasiment infini, reposant sur l’exploration de planètes à l’aide d’un système de portes des étoiles ; ce qui permet à chacun de se le réapproprier de manière créative.

Slender Man

Slender Man est né de la création d’un personnage « mythique » contemporain par un certain Victor Surge en 2009, qui présenta deux photos sur le forum Something Awful dans le cadre d’un challenge Photoshop, accompagnées de légendes dont l’une mentionne :

One of two recovered photographs from the Stirling City Library blaze. Notable for being taken the day which fourteen children vanished and for what is referred to as “The Slender Man”. Deformities cited as film defects by officials. Fire at library occurred one week later. Actual photograph confiscated as evidence.

— 1986, photographer: Mary Thomas, missing since June 13th, 1986.

Slender Man deviendra rapidement un élément du folklore internet, et un personnage récurrent des creepypastas, qui donnera – entre autres – lieu à une web-série (mais également à des jeux-vidéos et à un film).

De type found-footage, Marble Hornets est née en juin 2009, après la publication d’un post de Troy Wagner sur le forum qui a vu naître le Slender Man. Ce post balisera une nouvelle ligne narrative : l’enquête de Jay sur les raisons qui ont conduit son ami Alex a abandonner le tournage de son film Marble Hornets au travers, notamment, d’une exploration de ses rushs. A cette enquête va bientôt répondre les vidéos postées par le mystérieux totheark et une présence croissante de la figure du Slender Man (appelé ici The Operator).

Des posts anonymes à une communauté d’auteurs

Tripoda de Kalaumachie rappelle que :

« Creepypasta dérive de copypasta, un argot pour désigner le copier-coller. Sur 4chan, un copypasta, c’est un pavé de texte qui est ou bien spammé, ou bien (plus souvent) apparaît de temps à autre sur les fils de discussion. Une manœuvre de troll basique, on s’amuse de penser que des gens vont perdre leur temps à lire ça comme si on l’avait nous-même écrit. La creepypasta des premiers temps était simplement un copypasta effrayant, effectivement anonyme dans la vaste majorité des cas. J’imagine que sous cette forme, ces textes pouvaient connaître quelques évolutions, être réajustés par ceux qui les copiaient-collaient, et parfois augmentés. ».

4chan, où sont apparues les premières creepypasta, est un image-board (un forum internet qui repose sur le partage d’images) qui ne nécessite ni enregistrement ni connexion de la part des utilisateurs. La majeure partie des posts apparaissent sous le nom Anonymous. Il est connu notamment pour être une véritable « usine à mèmes », ces éléments ou phénomènes tels que les LOLCats repris et déclinés en masse. Les creepypasta étaient donc, à l’origine, essentiellement des phénomènes rumoraux.

Avec le temps, sont apparus des sites et forums spécialisés comme Creepypasta From The Crypt ou creepypasta.com, qui loin de « magiquement [faire] apparaitre des auteurs [qui] existaient déjà avant. » a probablement ralenti la circulation et la transformation des publications originales : « ici, aucun risque que le texte disparaisse pour cause de thread supprimé ». Par tradition, Tripoda de Kalaumachie ne crédite pas les auteurs de creepypastas, mais connaît « les pseudonymes de la plupart [d’entre-eux] […], à ce jour la tendance générale est plutôt à la fiction assumée, avec nom d’auteur donc. »

Malgré cette autorité plus individualisée et assumée, les creepypastas restent des récits ouverts et offerts à la communauté du web. Peut-on effectivement qualifier de copypasta un récit que l’on ne peut copier et coller pour le partager, le répandre, le modifier ou l’étendre ?

Remerciements

Nos remerciements à Tripodia de Kalaumachie mais également à Loïc et Sarah, deux lecteurs de creepypastas, pour nous avoir servi de guides dans cette matière complexe et passionnante !

Image à la Une : capture de la vidéo Decay de totheark sur YouTube.

Sources

Creepypasta From The Crypt, site francophone de référence sur les creepypastas.

Know Your Memes, base de connaissance sur les mèmes internet.

Un épisode de BiTS consacré aux creepypastas.

Patrick Dane. Why Slender man works : the Internet meme that proves our need to believe. What Culture.

Brett Keegan. Creepypasta and Internet culture. Backyard Philosophy, juillet 2014.

Lee Knuttila. User unknow : 4chan, anonymity and contingency. First Monday, octobre 2011.

Lucia Peters. What is creepypasta? Here’s everything you need to know about the internet’s spookiest stories. Bustle, décembre 2015.

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