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Fake News

« Fake news », à l’origine d’une expression qui fait débat

L’expression « fake news » existe dans la langue anglaise depuis le XIXe siècle. Popularisée par les fake news de la présidentielle américaine de 2016, elle a rapidement été détournée par le président Trump. Son usage fait aujourd’hui débat.

Plus de 2000 articles du New York Times contenant le mot « fake news » ont été publiés depuis 2016. 6 fois plus qu’entre 1851, date de fondation du journal, et 2015. « Littéralement, « fake news » signifie « fausse information ». Mais le mot « faux » a deux sens en français, traduits de deux manières en anglais : « false », pour « erroné », et « fake », pour l’ »imitation », la « copie ». « Fake news » est donc — en toute rigueur — une fausse information au sens d’une information non pas erronée, mais volontairement trompeuse » explique le journaliste des Décodeurs Samuel Laurent.

L’expression s’est rapidement popularisée en Novembre 2016, dans le sillage de l’élection de Donald Trump à la présidentielle américaine :


1890-2015, « fake news » avant les fake news

L’usage de l’expression est effectivement marginal avant 2016.

On en retrouve trace dans la presse américaine dès les années 1890 :

« A specimen of fake news » publié dans le Salt Lake Herald du 25 juin 1891

Pour augmenter leurs revenus, certains correspondants locaux seraient tenter d’envoyer des « fake news » à leur journal d’après le New York Times (1902). Ils seraient parfois poussés par des éditeurs en quête d’histoire plus « colorées ». Cette pratique n’est cependant pas viable pour le correspondant à long terme, qui risque sa place, alerte le quotidien new-yorkais.

Infoganda

Dans les années 2000, l’étude des archives du même journal révèle l’utilisation de « fake news » pour désigner notamment les infogandas (contraction d’information et propaganda) de l’ère Bush. L’éditorial du 16 mars 2005, « And Now the Counterfeit News » évoque par exemple la réalisation de vidéos par 20 agences fédérales américaines, distribuées à des chaînes de télévisions locales qui, à court de moyens télévisuels, les diffusent sans informer de leur caractère promotionnel. « La plupart […] sont très bien faites » précise le quotidien « incluant des « interviews » qui semblent authentiques et des « reporters » plus vrais que nature ». Ce premier usage, qui correspond à des fausses nouvelles créés dans un but économique ou de propagande plus ou moins caché, côtoie l’emploi de « fake news » pour désigner des programmes satiriques.

The Daily Show & les « fake news programs »

Les émissions comme The Daily Show (1996-), et son dérivé The Colbert Report (2005-2014) qui parodient les JT et émissions politiques américains rencontrent alors un vif succès, notamment auprès des jeunes qui désertent les formats traditionnels d’information à la télévision (leur équivalent français pourrait être Le Petit Journal, devenu Quotidien). L’animateur du Daily Show John Stewart qualifie lui même le contenu de son émission de « fake news ». Et, comme le remarque Geoffrey Baym, « le label de « fake » news a fourni le premier cadre pour parler de l’émission, dans les cercles populaires et académiques » (2006). Cette étiquette est toutefois réductrice pour ce professeur en études des médias. Mêlant comédie et information, le Daily Show a le mérite de mettre au jour une communication politique dominée par les éléments de langage, « quand la partie interview agit comme un modèle de démocratie délibérative basée sur des échanges civiques, des arguments complexes, poursuivant le but d’une compréhension mutuelle ».

Sites attrape-clics

Dans une acception plus restreinte, le terme « fake news » était aussi utilisé « dans l’industrie du fact-checking » depuis les années 2013-2014, « pour référer spécifiquement aux (relativement peu nombreux) sites qui fabriquaient intentionnellement des nouvelles pour faire rire, générer des clics rémunérateurs ou pour d’autres raisons qu’on ne comprendra jamais. Peu importe leurs motivations, le contenu de ces sites était tellement absurde qu’un fact-checker n’avait (quasiment) pas besoin de démontrer qu’il était faux » observe Bond Huberman en 2019 dans un article pour Snopes, le vétéran des site de fact-checking (il a été créé en 1994).

Les ères Bush et Obama voient l’émergence de concepts comme « ère post-vérité » ou « truthiness », dont Stephen Colbert invente le sens moderne en 2005. Cette dernière expression désigne une « vérité » subjective, vraisemblable, basée sur les ressentis, l’opinion, la perception d’une personne, sans égard pour les faits ou la logique. Ces concepts traduisent une inquiétude à l’égard d’un discours politique polarisé, et détaché de la vérité. (image : Greg Williams pour Wikipedia)

2016 et l’élection de Trump

« Avant que Donald Trump ne se réapproprie ce terme, l’expression « fake news » a décollé à la suite de l’enquête de Craig Silverman sur le succès des fake news électorales » notent les auteurs de Network Propaganda (Oxford University Press, 2018).

Fin 2016, les journalistes du Guardian et de Buzzfeed mettent effectivement au jour un ensemble de sites crées par des « producteurs de fake news » en quête d’argent ou souhaitant influer sur le cours de l’élection. La presse parlera en particulier des adolescents Macédoniens de la ville de Veles, auteurs de plus d’une centaine de sites publiant « presque tous des contenus agressifs pro-Trump destinés aux conservateurs et partisans de Trump aux États-Unis » d’après le journaliste de Buzzfeed Craig Silverman. La plupart des articles publiés sont repris de sites de droite ou d’extrême-droite américains, et assortis d’un titre sensationnel. Ils peuvent ensuite alimenter des pages « hyper-partisanes » américaines.

Publiée une semaine après les élections, l’enquête de Silverman qui popularisera effectivement les « fake news » montre que les plus populaires d’entre-elles « ont généré plus d’engagements sur Facebook que les nouvelles les plus populaires publiées par 19 médias traditionnels majeurs ». Le fonctionnement d’algorithme de Facebook, mais aussi son économie reposant sur la collecte de données de ses utilisateurs seront particulièrement critiqués. Les données personnelles de utilisateurs seront effectivement utilisées par Cambridge Analytica pour ses campagnes de micro-ciblage électoral lors du référendum sur le Brexit et la campagne électorale américaine de 2016 (affaire révélée en 2018).

Cette focalisation autour du problème des seules fake news, au détriment du rôle joué par les médias de l’alt-right tels que Breitbart dans la distortion de l’information pendant la campagne, semble toutefois avoir été dispropotionnée (Benkler et al., 2018 ; Cardon). Ce sera l’objet d’un prochain article.

Une expression vidée de son sens ?

Dès Janvier 2017, Donald Trump reprend à son compte l’expression « fake news ». Depuis lors, elle est apparue 540 fois sur son fil Twitter jusqu’à aujourd’hui. Il l’utilise principalement comme une arme rhétorique pour discréditer les informations qu’il juge hostiles à son égard, visant des médias comme CNN. Cet usage (et tout le vocabulaire qui s’est créé à la suite de la « crise » des « fake news » aux États-Unis mais aussi en France) a été largement repris par d’autres personnalités politiques dans le même but. A tel point que ce sens de « fake news » est entré dans le dictionnaire en ligne Dictionary.com :

Fake News […] 3 Sometimes Facetious. (used as a conversational tactic to dispute or discredit information that is perceived as hostile or unflattering) : The senator insisted that recent polls forecasting an election loss were just fake news.

A cette confusion s’ajoute le fait que dans la langue française, « fake news » pose un problème de traduction. L’expression est par exemple utilisée pour désigner les fausses informations au sens large, qu’il s’agisse de « fake news », d’autres genres de récits ou d’informations mêlant le vrai, le faux et le vraisemblable (comme la légende urbaine) et qui ne sont pas le fruit d’une entreprise de désinformation. Elle peut aussi désigner des informations trompeuses, sans qu’elles soient des nouvelles au sens journalistique. C’est le cas d’une dépêche AFP (ci-dessous) où le mot fake news est attribué à … des étiquetages de poissons qui ne correspondent à la variété vendue !

Pour ces différentes raisons, nombreux sont les journalistes à encourager son abandon. C’est le cas de Craig Silverman dès 2017, mais aussi des sites de fact-checking Les Décodeurs (France) et Snopes (Etats-Unis).

En octobre 2018, la Commission d’enrichissement de la langue française recommande l’expression « infox » pour désigner « une information mensongère ou délibérément biaisée, répandue par exemple pour favoriser un parti politique au détriment d’un autre, pour entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou encore pour contredire une vérité scientifique établie ». Le néologisme ne fera pas florès dans les médias, d’après la base d’articles Europresse il a été utilisé dans 794 articles, de sa création le 4 octobre 2018, au 6 septembre 2019. A la même période, « fake news » a été utilisé dans 5816 articles. Malgré une certaine perte de sens, l’expression conserve toute sa santé !

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Bibliographie sélective

« A specimen of fake news ». Salt Lake Herald du 25 juin 1891

« The Special Correspondent ». The New York Times du 6 avril 1902.

« Opinion | And Now, the Counterfeit News ». The New York Times du 16 mars 2005.

Baym, Geoffrey. 2005. « The Daily Show: Discursive Integration and the Reinvention of Political Journalism ». Political Communication 22(3):259‑76.

Dan Tynan, 2016. « How Facebook Powers Money Machines for Obscure Political “news” Sites ». The Guardian, août 24.

Craig Silverman et al., 2016. « This Analysis Shows How Viral Fake Election News Stories Outperformed Real News On Facebook ». BuzzFeed News. Consulté 28 octobre 2019e (https://www.buzzfeednews.com/article/craigsilverman/viral-fake-election-news-outperformed-real-news-on-facebook).

Craig Silverman, 2016. « Comment la Macédoine s’est retrouvée au cœur de la désinformation pro-Trump ». BuzzFeed. Consulté 28 octobre 2019 (https://www.buzzfeed.com/fr/craigsilverman/comment-la-macedoine-sest-retrouvee-au-coeur-de-la-desinform).

Craig Silverman et al., 2016. « Hyperpartisan Facebook Pages Are Publishing False And Misleading Information At An Alarming Rate ». BuzzFeed News. Consulté 28 octobre 2019b (https://www.buzzfeednews.com/article/craigsilverman/partisan-fb-pages-analysis).

Craig Silverman, 2017 « I Helped Popularize The Term “Fake News” And Now I Cringe Whenever I Hear It ». BuzzFeed News. Consulté 28 octobre 2019c (https://www.buzzfeednews.com/article/craigsilverman/i-helped-popularize-the-term-fake-news-and-now-i-cringe).

William Audureau, 2017. « Pourquoi il faut arrêter de parler de « fake news » ». Le Monde.fr, janvier 31.

Anon. 2018. « “Fake News” Is 2017 American Dialect Society Word of the Year ». American Dialect Society. Consulté 28 octobre 2019 (https://www.americandialect.org/fake-news-is-2017-american-dialect-society-word-of-the-year).

Yochai Benkler, Robert Faris, et Hal Roberts. 2018. Network Propaganda: Manipulation, Disinformation, and Radicalization in American Politics. Oxford University Press.

Bond Huberman, 2019. « “Fake News”: Why Snopes Prefers Not to Say It Anymore ». Snopes.Com. Consulté 28 octobre 2019 (https://www.snopes.com/fake-news-why-snopes-prefers-not-to-say-it-anymore/).

Dominique Cardon, 2019. « Pourquoi avons-nous si peur des fake news ? (1/2) ». AOC media – Analyse Opinion Critique. Consulté 28 octobre 2019 (https://aoc.media/analyse/2019/06/20/pourquoi-avons-nous-si-peur-des-fake-news-1-2/).

Dominique Cardon, 2019. « Pourquoi avons-nous si peur des fake news ? (2/2) ». AOC media – Analyse Opinion Critique. Consulté 28 octobre 2019 (https://aoc.media/analyse/2019/06/21/pourquoi-avons-nous-si-peur-des-fake-news-2-2/).

 

« Definition of Fake News | Dictionary.Com ». Www.Dictionary.Com. Consulté 28 octobre 2019a (https://www.dictionary.com/browse/fake-news).

Recommandation sur les équivalents français à donner à l’expression fake news.

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