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Rumeurs & Légendes urbaines

Raggot le hamster

Un homme aurait été conduit aux urgences après que son partenaire lui ait introduit un hamster dans le rectum. Cette anecdote, à mi-chemin entre légende urbaine sexuelle et médicale, s’est fait connaître en France par une fausse dépêche de l’Agence France Presse (AFP) :

Fausse dépêche AFP, d’origine inconnue. La plus ancienne occurrence que nous avons pu trouver date de 2003 et a été postée sur le forum d’un club sportif

Édité au début des années 2000, le canular a, semble t-il, connu son heure de gloire en 2007. Cette année-là Francis Zégut, un journaliste de RTL2, fait une lecture à l’antenne de ce qu’il croit être une vraie dépêche AFP, contenant difficilement un fou-rire. L’extrait circule, encore aujourd’hui, régulièrement sur Facebook. L’estampille RTL donne un gage de « sérieux » à cette histoire pourtant invraisemblable (précisons qu’aucune base de donnée médicale ne contient de description de cas similaires !) :

Du faux communiqué aux Darwin Awards

Comme l’anecdote le suggère elle-même, « Raggot le hamster » nous vient des États-Unis. Plus précisément de fausses dépêches de l’United Press International (agence de presse américaine). Elles sont apparues, d’après Jane Hu, en 1993 sur le web. Notre dépêche AFP semble d’ailleurs avoir été traduite mot-à-mot à partir de l’un de ces faux documents. Seule différence majeure : le hamster a remplacé, dans la version française, la gerbille du texte original.

La fausse dépêche a peut-être gagné la France via le site des Darwin Awards. Ces prix, crées en 1993 par une étudiante américaine, récompensent les morts les plus stupides et insolites. En 1998, les Darwin Awards publient l’histoire de Raggot, en précisant qu’il s’agit d’une « légende urbaine ».

Avant d’être un canular propagé sur le web, la légende était toutefois, et reste toujours, une histoire racontée de bouche à oreille suivant deux versions principales. La première met en scène un couple gay. La seconde, plus répandue semble t-il aux États-Unis, vise des célébrités soupçonnées d’être homosexuelles.

La « gerbillectomie » de Richard Gere

Richard Gere est la victime la plus célèbre de cette seconde version de la légende. Au milieu des années 80, raconte le fondateur de Snopes David Mikkelson (1998), « des rumeurs affirmant que l’acteur aurait eu recours à une « gerbillectomie » au Cedars-Sinai Hospital en Californie se sont répandues de manière virale. Et un nombre incalculable de docteurs et d’infirmières ont prétendu avoir participé ou entendu parler de l’opération de la part de collègues ». La propagation de cette fausse anecdote a sans doute été facilitée par l’envoi, via une personne anonyme, d’un grand nombre de faux communiqués de l’Association for the Prevention of Cruelty to Animals sur les fax du tout-Hollywood.

La rumeur restera longtemps attachée à Richard Gere. La star aura à souffrir, dans les années 90, d’un grand nombre de blagues potaches, ou de clins d’œil télévisuels faisant référence à sa supposée « gerbillectomie ». La folkloriste Norine Dresser relève certaines de ces blagues (1994) :

Comment Gere pratique t-il le « safe sex » ? En utilisant un piège à souris

Dans le générique d’un épisode de 1997, Les Simpsons sifflent la fin de la récré :

Simpsons
Everyone is tired of that Richard Gere story = Tout le monde est fatigué de cette histoire avec Richard Gere. Générique de l’épisode « The Cartridge Family » (1997)

Les célébrités sont prédisposées à ce genre de rumeur sur leur vie privée. Elles cumulent effectivement une attention médiatique énorme, doublée d’une « considérable ambiguïté créée par le secret qui [les] entoure[nt] » remarque Jean-Noël Kapferer dans Rumeurs (1987). Plus le secret est grand, plus les rumeurs se chargent d’offrir un aperçu de la vie privée des célébrités. Et c’est souvent pour dépeindre une vie sexuelle hors norme ou des perversions supposées.

Cette thématique apparaît bien avant l’époque contemporaine, comme nous l’apprend De source sûre : nouvelles rumeurs d’aujourd’hui (2002) de Jean-Bruno Renard et Véronique Campion-Vincent. Au XVIIIe siècle on racontait, par exemple, que Catherine II de Russie (1729-1796) était tellement insatiable sexuellement qu’elle avait des relations avec des animaux. Elle mourut, d’après la rumeur, « d’une étreinte trop brutale avec un cheval ». Cette réputation de débauche a principalement été construite par les historiens français anti-Russes. L’actrice Sarah Bernhardt (1844-1923) aurait, quant à elle, tenté une expérience sexuelle avec un jeune alligator – un acte anatomiquement impossible !

La puissance et l’appétit sexuel semblent, dans l’imaginaire, aller de pair avec une place dominante dans le monde. Et ces légendes sont rendues crédibles par des faits, cette fois réels, impliquant des personnalités. Les affaires Jackson, Savile ou encore Epstein, dont le caractère sordide dépasse toute imagination, sont des exemples criants. Elles mettent effectivement en scène des prédateurs sexuels qui ont longtemps agit en toute impunité, usant de leur notoriété et de stratagèmes pervers pour rester dans le secret. Les tabous évoqués par ces affaires – dont la pédophilie – ne figurent toutefois jamais dans les légendes urbaines sexuelles, destinées à choquer mais aussi, pour bon nombre d’entre-elles, à ridiculiser et faire rire.

Une légende homophobe ?

Pratiquement à la même époque que la rumeur « Gere », circule l’idée que certains couples gays s’adonneraient au gerbilling, soit l’insertion dans le rectum de rongeurs de petite taille. On retrouve trace de cette légende dans une question publiée dans la rubrique de questions / réponses populaire aux USA, The Straight Dope, en 1986. La folkloriste Becky Vorpagel (1988) confirme qu’elle est extrêmement répandue dans le pays, et notamment dans la ville de Philadephie où se concentre son étude. Elle se décline en une multitude de variantes, portant sur les « techniques » employées pour introduire le rongeur ou les conséquences pour le couple.

Les auteurs qui l’ont étudiée semblent unanimes sur le fait qu’elle traduirait une certaine peur de l’homosexualité. « Au début des années 80, les hommes gays étaient perçus comme des déviants sociaux et sexuels » explique la journaliste Jane Hu (2012). Avec l’arrivée du SIDA, cette perception se renforce. Certains voient effectivement la maladie comme la punition, par la mort, de désirs socialement inacceptables. La légende joue alors un rôle de « hate tale », un récit négatif où pourra s’exprimer la stigmatisation d’un groupe social ou ethnique différent du nôtre. Les homosexuels y sont décrits comme des individus qui placent le plaisir au dessus de toute autre valeur morale, quitte à imaginer des façons tortueuses et cruelles d’atteindre ce plaisir.

Beaucoup de légendes urbaines sexuelles délimitent, en quelque-sorte, ce qui relève d’une sexualité normale ou pathologique (la sexualité pathologique étant définie comme une hypersexualisation, une sexualité déviante ou une absence de sexualité). Dans ces récits, cette dernière forme de sexualité est presque toujours punie par un accident cocasse, avec des conséquences plus ou moins graves allant jusqu’à la mort (Renard & Campion-Vincent, 2002). C’est ce que l’on constate, par exemple, dans les légendes urbaines d’enterrement de vie de jeunesse.

Nul besoin de dire que l’association de l’homosexualité à des pratiques déviantes ne date pas d’hier. Norine Dresser (1994) rapporte que, pendant la guerre du Viet-Nam (1955-1975), une légende répandue conseillait aux jeunes adultes souhaitant obtenir leur réformation de s’insérer une queue de rat dans l’anus. Au moment où le médecin leur demanderait : « Qu’est ce que c’est que ça ? », ils pourraient répondre : « C’est mon rat ! ». Et ainsi être envoyés chez un psychiatre et réformés pour homosexualité.

Une légende récente (Renard & Campion-Vincent, 2002), particulièrement sordide, raconte le cas d’une femme qui aurait voulu se procurer du plaisir en s’introduisant la queue d’un homard vivant dans le vagin. Son lesbianisme est suggéré par le fait que des vidéos lesbiennes aient été retrouvées à son domicile. Pour accélérer l’agitation de la queue de l’animal, elle aurait approché de sa tête la flamme d’un briquet. Le homard aurait alors expulsé ses œufs et la femme, dans la douleur, aurait expulsé des crevettes de son vagin.

Folklore médical

La plupart de ces légendes rejoignent également un certain folklore médical. Comme Jan Harold Brunvand le remarque dans un chapitre de The Chocking Doberman (1984) consacré aux légendes médicales, « les étudiants en médecine, au moins dans le folklore, sont connus pour leurs blagues macabres ». On parle en France d’humour carabin, et il est parfois difficile de faire la différence entre anecdotes réelles, tirées de consultations, ou légendes urbaines rapportées par des médecins ou infirmières ! Une de ces légendes médicales a d’ailleurs pu inspirer l’incident de la version « canular » de notre histoire de hamster (l’inflammation d’une poche de gaz qui aurait fait partir le hamster comme un boulet de canon !). Un proctologue aurait « inséré une sonde terminée par une petite lampe électrique dans [le] rectum [d’un de ses patients]. Une étincelle aurait jaillit d’une mauvaise connexion, et inflammé les gaz intestinaux » … Provoquant l’explosion du pauvre homme !

L’histoire du hamster et du couple gay est, comme bon nombre de légendes urbaines, apparue comme un récit où s’exprime la peur de l’autre (étranger, homosexuel, marginal … etc). La vision par la société de l’homosexualité a toutefois grandement changé, et c’est ce qui explique peut-être que cette légende semble aujourd’hui partagée pour rire et pour le plaisir de choquer. Cela n’empêche pas de s’interroger sur les représentations à l’œuvre dans les légendes urbaines, qui expriment des valeurs morales, souvent conservatrices, ou les peurs de la société moderne derrière des récits scabreux.

Sources

ADAMS, Cecil, 1986. Is it true what they say about gerbils? The Straight Dope [en ligne]. 28 mars 1986. [Consulté le 22 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.straightdope.com/columns/read/478/is-it-true-what-they-say-about-gerbils/

BRUNVAND, Jan Harold, 1984. Medical horror legends. In : The Chocking Doberman. W.W. Norton & Company. pp. 97. ISBN 0-393-30321-7.

DRESSER, Norine, 1994. The Case of the Missing Gerbil. Western Folklore. 1994. Vol. 53, n° 3, pp. 229‑242. DOI 10.2307/1499810.

EMERY, David, [sans date]. Internet Tall Tale About « Gerbilling » Still Makes the Rounds. LiveAbout [en ligne]. [Consulté le 22 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.liveabout.com/gerbilling-mishap-injures-two-4015642

Gerbilling, 2020. Wikipedia [en ligne]. [Consulté le 22 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Gerbilling&oldid=941747255

HU, Jane, 2012. A Complete History Of Gerbiling So Far. The Awl [en ligne]. 19 novembre 2012. [Consulté le 22 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.theawl.com/2012/11/a-complete-history-of-gerbiling-so-far/

MIKKELSON, David, 1998. Richard Gere and the Gerbil. Snopes.com [en ligne]. 29 mars 1998. [Consulté le 22 février 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.snopes.com/fact-check/richard-gere-gerbil/

CAMPION-VINCENT, Vincent et RENARD, Jean-Bruno, 2002. Rumeurs et légendes sexuelles. In : De source sûre : nouvelles rumeurs d’aujourd’hui. Payot. pp. 217‑258. ISBN 2-228-90028-1.

VORPAGEL, Becky, 1988. A rodent by any other name: Implications of a contemporary legend. International Folklore Review. 1988. Vol. 6, pp. 53–57.

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