Bizutages qui tournent mal, tromperies, abus d’alcool … Dans les légendes urbaines, les enterrements de vie de jeune fille ou de garçon tournent souvent à la catastrophe ! Comme des Very Bad Trip, ces récits nous choquent ou nous font rire avec leurs détails scabreux. Ils nous mettent aussi en garde contre les conséquences d’un rite apparu récemment en France et qui se caractérise par ses nombreux excès !
L’enterrement de vie de célibataire (ou de jeunesse) aujourd’hui
L’enterrement de vie de jeunesse est une fête qui précède le mariage et au cours de laquelle le ou la futur.e marié.e dit adieu à sa vie de célibataire. Il se déroule généralement en deux phases.
Parade dans les rues
La partie publique du rite débute par l’enlèvement du ou de la futur.e marié.e par ses proches à son insu. Traditionnellement, le candidat au mariage est couvert de mélasse, de bière, de farine, de plumes, d’oeuf, etc. avant d’être exhibé sur la place publique, ligoté à une potence ou assis dans un faux cercueil à l’arrière d’une camionnette pour être promené dans les rues aux bruits des klaxons et du tintamarre avant d’être nettoyé. Aujourd’hui, le travestissement a remplacé le grimage, observe Martine Roberge, ethnologue et auteure de Rites de passage au XXIe siècle (2014),
« il a une fonction signalétique qui indique que l’enterré est en transition. Le corps est le support du rite. Déguisé et travesti de manière exagérée, il met symboliquement en scène l’identité de genre de l’homme et de la femme. Le travestissement porte sur les attributs masculins et féminins, accentuant la perte de liberté de vagabondage sexuel associée au mariage »
La parade dans les rues se fait, par ailleurs, de manière plus active pour l’enterré, qui doit solliciter les passants lors d’épreuves. Dans certains enterrements, le ou la futur.e marié.e doit par exemple vendre des petits objets (bonbons, préservatifs…etc) aux passants afin de recueillir de l’argent pour payer des consommations dans les bars. Dans cette parade « le côté festif domine, voire le côté carnavalesque que l’on attribue aux fêtes d’inversion, de transgression, le charivari et le tintamarre où le peuple s’exprime » précise l’ethnologue.
La fête se poursuit à l’abri des regards
La partie privée du rite se déroule ensuite « à l’abri des regards et avec le groupe de pairs où des situations inédites peuvent se produire et où le caractère secret doit être conservé par les non-initiés ». L’enterré est confronté à une série d’épreuves destinées à le faire boire. L’enivrement est effectivement un moyen d’effacer l’état antérieur du sujet (célibataire), et de faciliter son agrégation dans un nouvel état (jeune marié). Il est également exposé une dernière fois à la luxure, par l’entremise d’une strip-teaseuse ou d’une prostituée. Une pratique aujourd’hui étendue à la sphère féminine (voir partie 3). Le rite se termine généralement par le raccompagnement de l’enterré chez lui. Le réveil est bien souvent difficile : l’état d’enivrement étant une garantie du succès de l’enterrement !
Un rite d’initiation ?
L’enterrement de vie de jeunesse était, jusqu’aux années 1970/1980, un rite exclusivement masculin. La série d’épreuves imposées au ou à la futur.e marié.e apparente l’enterrement de vie de célibataire aux bizutages et rites d’initiations des sociétés traditionnelles, d’après Martine Roberge. Elle explique :
« Pour ces derniers, les épreuves sont souvent marquées par l’humiliation, la douleur, la perte d’identité pour ensuite être reconnu, ou agrégé à une nouvelle identité, un nouveau statut. Dans le rite de l’enterrement de vie de jeunesse (EVDJ), le jeune dit adieu symboliquement à son célibat et par le fait même à son groupe de pairs, puisque le mariage lui donnera un nouveau statut, qui le fera passer de célibataire à marié, et qui le distinguera de ceux qui ne sont pas mariés. De ce fait, il quitte pour ainsi dire les privilèges et les avantages que l’on attribue à la jeunesse, la liberté, qui se distingue des responsabilités du couple, des enfants, etc. »
L’EVDJ est un « rite d’adieu à sa vie de célibataire ainsi qu’un rite de dernière fois, sans avoir un caractère définitif. En fait, ce rite n’a de sens que dans le continuum du mariage ou de l’union qui suit. C’est pourquoi il comporte deux parties », précise l’ethnologue.
Légendes de bizutage extrêmes
Les légendes urbaines d’enterrement de vie de célibataire mettent souvent en scène les bizutages imposés aux futurs mariés :
Enterrement à la suédoise
Cette première légende a circulé sur internet – sur les forums et sans doute sous forme de chaînes de mails – au début des années 2000. Accompagnant le récit, la photographie du supposé « enterré » remplit deux fonctions : elle permet d’authentifier le récit (l’homme est jeune, de type suédois, et on devine qu’il est sur un voilier) … mais participe aussi à la chute, comme vous allez le voir !
En Suède, il est coutume pour un futur marié d’être kidnappé et entraîné quelque part pour son enterrement de vie de garçon – qui dure habituellement toute la journée et toute la nuit. Plutôt que de faire un enterrement de vie de garçon typique où tout est arrangé à l’avance – sortir, se soûler et aller aux danseuses – , les Suédois font les choses différemment. Le futur marié n’a aucune idée de ce qui l’attend jusqu’à ce qu’il se fasse accrocher. Il risque de se faire déguiser de façon folle et de faire des niaiseries… c’est là que le plaisir commence!
Ce type est un marin amateur et quand il a été kidnappé pour son enterrement de vie de garçon, ses amis lui ont collé une fausse barbe de marin et l’ont mis aux commandes d’un yacht de 60 pieds pour la journée – avec bien sûr beaucoup de bière et de nourriture. Mais rien de particulièrement dégradant ne lui est arrivé jusque là.
Le soir, après être revenu à terre pour se préparer pour la soirée aux danseuses, tous les gars se sont donné rendez-vous dans un sauna ce qui est pratique courante en Suède. Imaginez l’horreur qui pouvait se lire dans le visage du futur marié quand il a vu ses amis nus qui l’attendaient. Son « best man » et ses autres amis n’avaient plus un poil sur les parties.
Pouvez-vous deviner d’où venait la fausse barbe?
Maintenant, regardez l’image de nouveau.
Les éléments scabreux sont assez récurrents dans les légendes d’enterrements de vie de jeunesse. Cette légende se différencie toutefois des autres par sa morale et sa chute : elle amuse plutôt qu’elle ne met en garde contre les enterrement de vie de jeunesse. Dans l’histoire des bottes à la mousse expansive, l’issue est effectivement plus tragique :
Bottes et mousse expansive
Je connais pas le mec personnellement, c’est un collègue du père d’un pote.
Le mec devait se marier, donc avec ses potos, ils ont fait son enterrement de vie de garçon. Ils ont beaucoup picolé, et dans le délire, ils l’ont habillé en paysan (avec salopette, chemise carreau, chapeau, botte en caoutchouc etc…).
Après avoir bien bu une partie de la nuit, un de ses potes a foutu dans les bottes du gars, une mousse (je sais plus le nom, un Bob le bricoleur du forum pourra m’éclairer) qu’on utilise en bricolage, qui devient super dure.
Le gars s’est endormi avec les bottes pleine de mousse. Le lendemain matin, il se réveille, et il a du mal à sentir ses pieds, la mousse s’était totalement durci, impossible d’enlever les bottes.
Direction hopital, mais ils ne pouvaient rien faire, donc amputation juste sous les genoux, aux deux jambes.
Sa fiancée, a donc annulé le mariage, et l’a quitté.
Le gars s’est suicidé une dizaine de jour après.
Le pote, qui avait mis la mousse dans les bottes s’est à son tour suicidé une dizaine de jour après.
Histoire vraie, tout ça à cause d’une connerie de bourré. [Source : forum Jeux vidéo.com, 2014]
Cette histoire nous a été rapportée en 201, par un ami, alors étudiant, qui la tenait pour vraie. Après vérification il est toutefois apparu qu’elle était absente des rubriques faits-divers des journaux et qu’elle était rapportée essentiellement sur des forums suivant différentes versions.
Le récit utilise un procédé courant dans les légendes urbaines : créer un antagonisme entre ce qui apparaît comme un plaisir anodin (une « connerie de bourré ») et une issue tragique (l’amputation suivi du suicide du fiancé). Cet antagonisme nous alerte sur les possibles conséquences des excès qui accompagnent les enterrements de vie de jeunesse ; ici, celui de l’abus d’alcool et d’autres substances.
Légendes d’infidélité
Un autre risque mis en scène dans les légendes urbaines d’enterrement de vie de célibataire est celui de l’infidélité qui, punie ou révélée, met en danger l’union à venir.
Étouffé entre les seins d’une strip-teaseuse
Dans « Groom Killed By Stripper’s Boobs » (Un futur marié décède entre les seins d’une strip-teaseuse) un futur marié fête son enterrement de vie de jeune garçon dans un strip-club. Il a eu « son lot de bières », mais ne semble pas « hors de contrôle ». Lorsque « I’m too sexy » retentit, il se lève et se met à danser « comme un idiot ». Une strip-teaseuse repère son manège, et commence à exécuter une lap-dance pour lui. Elle agite ses seins face à son visage. Plus elle les agite, plus le futur marié « se perd entre sa poitrine ». Il agite les bras, mais ses amis ne remarquent rien… Et le futur marié finit par mourir étouffé. L’ironie étant que les gestes d’appel au secours du futur marié ont sans doute été interprétés par ses amis comme les mouvements d’une danse (!).
L’infidélité est punie, ici, de manière extrême. Ce qui est moins le cas dans les autres légendes relevées, où l’infidélité est révélée de façon honteuse :
Des morpions dans l’œil
Dans « Lousy predicament » (Situation pouilleuse), une future mariée se serait retrouvée – stigmate de son infidélité ! – avec un œil infecté au lendemain de son enterrement de vie de jeune fille. Elle aurait reçu un morpion, niché dans le cache-sexe du strip-teaseur, pris en pleine figure.
La strip-teaseuse talentueuse
Selon « La strip-teaseuse talentueuse », un futur marié aurait, quant à lui, laissé tombé un préservatif usagé en retirant ses vêtements pour aller se coucher auprès de sa future femme, juste après son enterrement de vie de garçon. Une strip-teaseuse talentueuse aurait réussi à dérouler sur sa verge un préservatif coincé entre ses dents sans que le jeune homme ne s’en rende compte.
Cette marque d’infidélité – plutôt cocasse ! – rejoint un mème de la culture populaire que relèvent Campion-Vincent et Renard dans De source sûre : Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui : celui des cheveux, odeurs de parfum…etc retrouvés sur les vêtements du fautif, et qui permettent d’identifier une possible infidélité.
Enceinte d’un bébé noir
Jan Harold Brunvand identifie pour la première fois en 1985 aux États-Unis cette légende du bébé noir qu’auraient eu un couple de caucasiens après leur mariage, révélant l’infidélité de la future mariée avec un strip-teaseur lors de son enterrement de vie de jeune fille.
D’après Snopes, il s’agirait là d’un renversement d’une légende plus ancienne, impliquant un homme qui, ayant rendu visite à une prostituée, transmet à sa femme le sperme d’un client noir. Ce renversement s’opérant dans un contexte où les enterrements de vie de jeune fille se démocratisent.
Le strip-teaseur nain
En France une légende similaire, qui se trouvait à l’origine sur le post d’un blog espagnol, a été relayée par la presse en 2014, sans vérification :
« […] Ah, l’enterrement de vie de jeune fille (ou de garçon)… L’occasion, souvent, d’en « profiter » une dernière fois avant de jurer fidélité à l’autre, pour l’éternité. A moins que la situation ne dérape… C’est ce qui vient d’arriver à une jeune Espagnole, qui, la veille de son mariage, a eu le droit à une bonne soirée arrosée entre filles, rapporte la presse espagnole .
S’en est suivie, le lendemain, une charmante cérémonie. Et, surprise, quelques semaines plus tard : le couple apprenait qu’il allait avoir un enfant. Joie, bonheur. Neuf mois après, la petite merveille faisait son apparition dans un hôpital de Valence. Mais Ô, surprise : le nouveau-né est atteint de nanisme. Or, aucun cas n’a jamais été recensé dans aucune des familles des époux…
« Nous étions tous tellement heureux »
Rapidement, les proches de la jeune mariée font alors le rapprochement : lors du fameux EVJF, le strip-teaseur « personnel » de la demoiselle était atteint…. de nanisme. Mise devant le fait accompli, la jeune infidèle a bien dû avouer la vérité à son époux. [Source : LCI]»
On note que dans la variante plus récente de cette légende teintée de racisme, le strip-teaseur noir a été remplacé par un strip-teaseur nain. Selon Aurore Van de Winckel sur son blog, ce strip-teaseur hors norme rappelle les stars des freak shows américains du XIXe et du XXe. Elle mentionne également Tyrion Lannister, héros de « Game of Thrones », connu pour son activité sexuelle trépidante. « Selon certaines traditions anciennes et dépassées, le nain personnifie les manifestations incontrôlées de l’inconscient et a pu être considéré comme le gardien du secret ou comme la conséquence d’une faute » conclut-elle.
D’où vient la tradition du strip-tease dans les enterrements de vie de jeunesse ?
Martine Roberge note dans Rites de passage au XXIe siècle que dans l’enterrement de vie de jeune garçon, le futur marié est traditionnellement exposé une dernière fois à la luxure, par l’intermédiaire d’une strip-teaseuse voire d’une prostituée, avant de dire adieu aux privilèges de la vie de célibataire, dont le vagabondage sexuel fait partie.
D’après ses observations, cette pratique se maintient sous la forme de jeux de vérité autour de la sexualité du jeune marié ou de visites dans des maisons de strip-tease. Elle s’étend aux enterrements de vie de jeune fille.
Comme elle l’explique, « cela correspond à la liberté des mœurs, d’avoir des relations sexuelles avec plusieurs partenaires avant de s’engager dans la vie de couple. Le fait que le phénomène se soit étendu aux enterrements de vie de jeune fille témoigne de la libéralisation sexuelle de ces dernières et de leur revendication à l’égalité, d’où la prolifération de ces maisons-bars de strip-teaseurs. »
On notera que cette exposition à la luxure est un des éléments du rite qui concentre la majorité des craintes et risques de dérapages selon les légendes.
Interprétation des légendes d’enterrements de vie de célibataire (ou de jeunesse)
Les fantaisies et les écarts que favorisent et permettent l’enterrement de vie de jeunesse sont systématiquement punis par une justice immanente. Des éléments que l’on pourrait interpréter comme de mauvaises coïncidences ou des coups du destin tombent avec la force d’un châtiment sur les enterrés infidèles, sans aucune intervention humaine. L’infidélité est révélée par le détail compromettant plutôt que par les confidences d’une personne présente à l’enterrement. Elle est punie de manière indirecte par la mort (« Un futur marié décède entre les seins d’une stip-teaseuse »), par un marquage disgracieux (« L’oeil infecté »), ou une révélation honteuse (« The Bad Bachelorette »).
Cette justice immanente rapproche ces récits des légendes sexuelles (voir, pour un exemple de ces légendes, l’histoire de Raggot le hamster), telles que les sociologues Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard les définissent dans De source sûre : Nouvelles rumeurs d’aujourd’hui (2005). Elles ont, par ailleurs, deux fonctions communes aux légendes sexuelles : elles sont une « machine à défouler », permettant de vivre par procuration des moments de relâchement total sans en subir les conséquences. Elles sont, enfin, des récits qui condamnent le comportement d’individus désignés comme pervers, définissant une normalité par la stigmatisation de l’anormalité.
Nous adressons nos remerciements à Martine Roberge, professeure d’ethnologie au Département d’histoire de l’Université Laval, pour son aide précieuse.
Sources
Aurore Van De Winckel. Enceinte du strip-teaseur nain ? Une légende urbaine pour faire peur… et fantasmer. Le Plus – Nouvel Obs, octobre 2014. http://www.huffingtonpost.fr/sixtine-h/le-nain-nouvel-objet-de-risee-collective/
Martine Roberge. Rites de passage au XXIe siècle : entre nouveaux rites et rites recyclés. Presses de l’université Laval Hermann, 2014.
Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard. « Rumeurs et légendes sexuelles » in De source sûre : nouvelles rumeurs d’aujourd’hui. Payot, 2005.
Jan Harold Brunvand. « The Bad Bachelorette » in The Baby train and other lusty urban legend, pp. 50-52. W. W. Norton & Company, 1993.
Image à la Une : image promotionnelle de Very Bad Trip II.
5 réponses sur « Légendes urbaines d’enterrements de vie de célibataire »
« Ayant entendu ce récit d’un ami étudiant en 2016 »
Coucou !
[…] → Légendes urbaines d’enterrement de vie de jeunesse […]
[…] s’écartent de la norme. Ainsi, les légendes d’enterrements de vie de jeunesse mettent presque toutes en scène les excès de la fête ou l’infidélité d’un des futurs mariés pour en montrer les conséquences funestes : un homme […]
[…] Beaucoup de légendes urbaines sexuelles délimitent, en quelque-sorte, ce qui relève d’une sexualité normale ou pathologique (la sexualité pathologique étant définie comme une hypersexualisation, une sexualité déviante ou une absence de sexualité). Dans ces récits, cette dernière forme de sexualité est presque toujours punie par un accident cocasse, avec des conséquences plus ou moins graves allant jusqu’à la mort (Renard & Campion-Vincent, 2002). C’est ce que l’on constate, par exemple, dans les légendes urbaines d’enterrement de vie de jeunesse. […]
[…] mécanisme est très fréquent dans les légendes urbaines sexuelles (voir nos articles sur les enterrements de vie de jeunesse et Raggot le hamster ; ainsi que Campion-Vincent et Renard, 2005). En tant que procédé […]