Phénomène récurrent en Angleterre et aux États-Unis, les paniques autour de prétendues attaques de clowns ont touché la France en octobre 2014. Jouant sur l’image du clown maléfique, quelques jeunes individus se sont effectivement amusés à effrayer les habitants de villes du Nord-Pas-de-Calais, d’Aquitaine ou encore du Languedoc-Roussillon. Mais la rumeur, en grande partie créée par les médias et les échanges sur les réseaux sociaux, amplifiera grandement la portée du phénomène.
A l’aube d’Halloween 2014 et sur une durée de deux semaines, la France aurait été envahie par des individus aggressifs grimés en clown. Le sujet sera abondement relayé dans la presse et à la télévision. Il fera l’objet d’analyses d’« experts » et d’universitaires. D’abord centré sur le Nord-Pas-de-Calais, la panique autour des « clowns agressifs » s’étendra simultanément à des villes très diverses. Sur les réseaux, des signalements, photographies, vidéos et alertes seront relayées par des « veilleurs », souvent réunis dans des groupes de lutte contre les clowns. La plupart de ces documents se révéleront, pourtant, invérifiables ou erronés, datés de bien avant les événements qu’ils sont sensés documenter. Le phénomène, apparu brutalement, disparaîtra du jour au lendemain mais laissera plusieurs questions en suspens : les clowns agressifs ont-ils vraiment existé ? Est-ce la rumeur qui les a créés ? A t-on eu affaire à une panique collective sans réel fondement ?
Cartographie du phénomène des clowns agressifs
Le recensement des cas et témoignages rapportés par la presse, l’analyse des publications et groupes Facebook qui lui sont consacrés, ainsi que des données de recherche pour le mot « clown » dans Google, permet de voir le phénomène des clowns agressifs comme bref dans la durée, intense dans les échanges qu’il génère sur les réseaux sociaux et les informations dans la presse. Il est, par ailleurs, étendu géographiquement à des épicentres éloignés les uns des autres mais où il se propage parfois simultanément, symptomatique d’un phénomène né et entretenu par les réseaux sociaux.
Un premier cas est recensé le 10 octobre 2014 à Périgueux par la presse, celui d’un adolescent de 17 ans déguisé en clown qui a menacé plusieurs passants à l’aide d’un faux poignard. Mais le phénomène débute réellement la semaine du 12 octobre 2014 lorsque, dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, se multiplient les témoignages d’agressions dans la presse, notamment celui d’une adolescente qui aurait été poursuivie par un clown équipé d’une arme blanche à Sin-le-Noble le 13 octobre 2014, puis à Lambres-les-Douai un jour plus tard. 20 Minutes Lille rapporte une explosion des témoignages dès le 15 octobre 2014. Le 17 octobre, un jeune homme de 19 ans déguisé en clown, habitant à Douvrin, est arrêté pour avoir fait peur à des passants, en brandissant un bâton. Le nombre de requête dans Google concernant le mot « clown » atteint son record pour l’année 2014 (indice 100 dans Google Trends) dans la semaine pour le Nord-Pas-de-Calais, avant d’entamer une rapide redescente, alors qu’une deuxième vague touche, cette fois, le reste de la France, la semaine suivante.
La presse recense d’abord quelques cas en Alsace, dus cette fois à des « brigades anti-clown » qui se créent spontanément, notamment par l’intermédiaire des groupes Facebook dédiés au phénomène, à Mulhouse et Colmar le 22 octobre 2014. Ainsi que le signalement d’une présence de « clowns malveillants » à la police pendant la nuit du 21 au 22 octobre, dont certains pourront être identifiés, à Strasbourg, à Birscheim, à Mulhouse et à Winger-Sur-Moder. Autour du vendredi 24 et samedi 25 octobre, le phénomène touche également le Languedoc-Roussillon, où des agressions, donnant lieu à des arrestations, sont relevées dans de nombreuses villes autour de Montpellier. Et le reste de la France, de manière dispersée : dans le Doubs, la Drôme, autour de Grenoble, Mâcon et Bordeaux. Avant que le mouvement ne s’essouffle la semaine suivante, la semaine d’Halloween.
Ce phénomène, assez inédit en France, touche massivement une population jeune (adolescents et jeunes adultes) et connectée sur les réseaux sociaux : que l’on parle des clowns agresseurs en eux-mêmes, des créateurs et membres de groupes Facebook chargés de relayer les signalements de clowns agresseurs ou encore des brigades anti-clown.
Du clown de Wasco à une prank video
Il serait né de plusieurs influences, notamment une vidéo de DM Pranks productions [vidéo], mettant en scène un clown terrorisant des passants dans une caméra cachée, le clown de Wasco, un personnage de clown effrayant photographié dans les rues de Wasco, ayant crée des émules en Californie suite à sa médiatisation sur les réseaux sociaux ou encore le clown de Northampton, hantant les rues d’une ville anglaise en 2013.
Jean-Bruno Renard, dans une interview aux Inrockuptibles parle d’un phénomène d’ostension, à partir du « clown maléfique », motif largement présent dans la culture populaire, mais également dans les légendes urbaines (voir par exemple La statue de clown). « Des individus vont imiter les légendes en les incarnant dans la réalité », sans doute motivés par un aspect de défi, qui fait partie de la culture adolescente mais aussi de celle des réseaux sociaux, où les défis tels que « A l’eau ou au restau » ou Ice bucket se propagent de manière virale. « Ces événements peuvent servir de catalyseurs qui vont déclencher une panique et des rumeurs, dont la propagation est facilitée par les réseaux sociaux, qui sont des supports de diffusion ultrarapides. »
Brigades « anti-clowns » sur Facebook
Dès les premières rumeurs faisant état de clowns agressifs, des dizaines de groupes d’alerte ou d’appels à la « chasse au clown » sont effectivement créés sur Facebook, recensant pour certains plusieurs dizaines de milliers de « J’aime ». Elles contribueront, derrière une volonté de vigilance affichée, à amplifier la rumeur autour de la présence de clowns agressifs, et ainsi le danger perçu par cette présence.
Dans Rumeurs : le plus vieux média du monde, Kapferer souligne que l’homme qui dévoile la rumeur jouit d’un grand prestige : en délivrant une « information rare, excitante, créatrice d’émotion », recevant en retour le plaisir de plaire. Facebook donne le moyen à chacun de devenir son propre rédacteur en chef, de collecter et diffuser cette information, d’être au centre de l’attention et de mesurer sa popularité au nombre de « J’aime » récoltés et de la comparer à celle des pages concurrentes.
En l’absence de réelle information et/ou de moyens d’identifier les photographies relayées, les groupes ainsi créés sont indirectement amenés à diffuser des informations déformées, amplifiées ou fausses, pour maintenir l’intérêt de leurs « suiveurs ». Certaines photographies, prétendument prises en France au moment de l’attaque des clowns, datent en réalité de 2013, et ont été prises en Angleterre lors des sorties du fameux clown de Nothampton quand d’autres mettent en scène le clown de Wasco aux Etats Unis. D’autres photographies sont simultanément reprises pour signaler la présence d’un clown dans plusieurs villes différentes, à Caen et à Montpellier par exemple. Toutes présentent la caractéristique d’être difficilement identifiables : prise de vue nocturne, floue, sans éléments tels que des noms de rue, d’enseignes, ce qui permet de les transposer dans n’importe quel contexte. Les signalements de clowns, reçus par SMS ou messagerie Facebook sont, par ailleurs, relayés instantanément.
L’urgence prend le dessus sur la nécessité de la vérification : chaque nouvelle information doit être immédiatement partagée à son réseau, afin de toujours conserver l’avance que l’on détient sur les autres. Le phénomène touche, par ailleurs, directement les adolescents et jeunes adultes qui participent à l’animation de ces groupes : les agressions supposées et relayées par la presse impliquent fréquemment des personnes jeunes et se dérouleraient à la sortie des écoles, collèges et lycées. Communiquer la moindre information donne donc le sentiment d’être actif dans la mobilisation collective face à un danger imminent et omniprésent, de remplir une mission citoyenne.
Il est cependant à noter que le pendant de cette immédiateté est le soucis, de plus en plus croissant, de vérifications chez les internautes, qui se retrouve avec le phénomène des clowns agresseurs, où certaines photographies détournées de leur contexte initial sont dénoncées comme telles en commentaires, avec mention de leur véritable origine.
Ce rétablissement de la vérité concernant certains clichés est malgré tout enseveli sous l’abondance d’informations invérifiées. L’image des quelques agressions réelles et avérées est étirée, démultipliée, comme autant de miroirs venant entourer le noyau de vérité. Par la force des signalements et images fictives, de l’évocation de noms de localités touchées, la présence ressentie dépasse largement la présence réelle des clowns agresseurs, faisant croire à une invasion, une vague, qui toucherait toutes les villes de France.
La fin abrupte d’une panique collective
Le phénomène des clowns agressifs connaîtra une fin abrupte, après un peu moins d’un mois d’existence dans toute la France. Les pages Facebook qui relaient les photographies, signalements, réduisent ou interrompent leurs publications dès le début du mois de novembre. L’intérêt, traduit par les requêtes Google pour le mot « clown », chute dès la semaine du 2 au 9 novembre (indice 19 dans Google Trends), le mot-clé retrouvant son niveau d’intérêt d’avant le phénomène.
Il faut se rappeler également que le phénomène des clowns agresseurs se cristallise autour de la fête d’Halloween qui est vue, à la fois par certains médias et par les membres des pages Facebook d’information comme un potentiel « climax ». Une fois la date fatidique du 31 octobre passée, la tension retombe donc brutalement, le contexte change.
Il connaître une reprise en France à l’année 2015 – certes faible – mais dans cette même période d’Halloween et est devenu, depuis quelques années, un phénomène qui touche périodiquement divers pays occidentaux : la Caroline du Nord et du Sud est d’ailleurs aux prises avec de nouvelles apparitions de clowns menaçants depuis la rentrée…
Sources
Ronand Boussicaud. Comment naissent et évoluent les rumeurs sur les médias sociaux ?
Jean Noël Kapferer. Rumeurs : le plus vieux média du monde. Seuil, 1987.
Patrick Peccatte, Les origines des clowns agressifs dans la culture populaire.
Image à lu Une : Andres Musta, Scary clown faces.
8 réponses sur « Les « clowns agressifs » de 2014 »
[…] Oui, je pense à cet épisode de 2014 des attaques de clowns. Sur les réseaux sociaux, il y […]
[…] à des cas d’ostension ou de lynchages populaires, comme ça a été la cas lors du bref épisode des clowns agressifs de 2014 en France. L’offrande de la mort n’y échappe pas. Julien Bonhomme et Julien Bondaz ont consacré […]
[…] : Oui, je pense à cet épisode de 2014 des attaques de clowns. Sur les réseaux sociaux, il y avait beaucoup de jeunes qui se mobilisaient au sein de brigades […]
[…] → Les « clowns agressifs » de 2014. […]
[…] informations courtes, vectrices d’émotions fortes. C’était particulièrement saisissant dans le cas des rumeurs de « clowns agressifs » qui ont traversé la France en 2014 : après une intense circulation, la constitution de groupes Facebook chargés de donner […]
[…] ce qu’on a alors appelé les « phantom clowns » n’a, toutefois, jamais pu être observée. En 2014, une panique similaire a agité la France. Des commissariats ont été débordés d’appels et de témoignages de jeunes disant avoir […]
[…] dynamique est propre aux flaps, concept forgé par Michael Goss. Elle se retrouve, par exemple, dans la panique autour des clowns malveillants, survenue à l’automne 2014. On peut la comparer aussi aux phénomènes de […]
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